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Débats du Sénat (Hansard)

Débats du Sénat (hansard)

2e Session, 36e Législature,
Volume 139, Numéro 42

Le mardi 4 avril 2000
L'honorable Gildas L. Molgat, Président


LE SÉNAT

Le mardi 4 avril 2000

La séance est ouverte à 14 heures, le Président étant au fauteuil.

Prière.

[Traduction]

DÉCLARATIONS DE SÉNATEURS

Le premier ministre du Japon

Les condoléances et les voeux de prompt rétablissement à l'occasion de sa maladie subite

L'honorable Dan Hays (leader adjoint du gouvernement): Honorables sénateurs, samedi soir, Son Excellence Keizo Obuchi, premier ministre du Japon, a été hospitalisé. Comme les honorables sénateurs le savent, le premier ministre Obuchi a été victime d'une embolie cérébrale et il est dans le coma. Son état est tellement grave que Mikio Aoki a dû être nommé ministre par intérim. M. Aoki a annoncé la démission collective du gouvernement afin de permettre au Parti libéral démocrate d'élire aujourd'hui un nouveau premier ministre.

Je sais que tous les honorables sénateurs se joignent à moi pour exprimer notre solidarité au peuple et au gouvernement japonais. J'ai parlé à l'ambassadeur Katsuhisa Uchida auquel j'ai demandé de transmettre le message au premier ministre par intérim Aoki, qui en a accusé réception. Nous exprimons notre soutien à la famille de Son Excellence, notamment à son épouse, Chizuko Obuchi, aux membres de la Diète et aux membres de son parti.

Nous souhaitons un prompt rétablissement à Son Excellence qui, par son précieux talent de leader politique, a su si bien servir les Japonais. La carrière politique du premier ministre Obuchi et l'intérêt qu'il porte depuis longtemps aux relations étrangères lui ont valu d'avoir de fréquents contacts avec le Canada. J'ai rencontré M. Obuchi lorsqu'il était ministre des Affaires étrangères et que j'étais moi-même l'envoyé du ministre Axworthy au Japon afin d'encourager la participation du Japon à la Convention sur les mines antipersonnel. Le ministre Obuchi non seulement m'a réservé un accueil chaleureux, mais a aussi vivement encouragé son gouvernement à signer la convention. Il est venu en personne à Ottawa en 1997 pour la signer. Il a aussi chaleureusement accueilli le premier ministre Chrétien et toute l'Équipe Canada et veillé au succès de leur mission au Japon.

Dernièrement, Son Excellence a fait beaucoup pour entretenir les bonnes relations entre nos deux pays. M. Obuchi a de nombreux amis au Canada. Nous le regretterons en tant que premier ministre. Pour un homme aussi jeune, il a une carrière politique extraordinaire et tout à fait remarquable. Nous lui adressons tous nos meilleurs voeux.

La situation lamentable des enfants de la rue

L'honorable Sharon Carstairs: Honorables sénateurs, vendredi soir dernier, à la Bibliothèque nationale, j'ai eu l'honneur d'assister à la projection d'un film intitulé: Letters to a Street Child. C'est l'oeuvre de la cinéaste Andrée Cazabon. Elle est également l'enfant de la rue qui est le sujet du film.

À l'âge de 14 ans, elle a vécu dans les rues d'Ottawa, de Montréal et de Toronto. Grâce à l'opération Retour au foyer et au soutien de Rideauwood Addiction and Family Services, Andrée a quitté la rue, elle a été traitée pour sa toxicomanie, elle est retournée aux études et elle est devenue cinéaste. Elle est du nombre des enfants de la rue qui ont bien tourné.

Les lettres dont il est question dans le film, ce sont celles que lui a écrites son père, un professeur d'Orléans, à l'est d'Ottawa. Il lui a écrit quand elle vivait dans la rue. Sa douleur et celle de toute sa famille sont décrites dans le film. Ce n'est pas un film de tout repos, mais en notre qualité de législateurs et de prestataires de services, nous avons intérêt à voir des choses semblables.

Aujourd'hui, les honorables sénateurs recevront à leurs bureaux une lettre de l'honorable Ethel Blondin-Andrew, qui explique comment on peut avoir accès à ce film par l'entremise du Service de télédiffusion de la Chambre des communes.

Honorables sénateurs, durant la période de questions qui a suivi la projection du film, j'ai demandé à Andrée pourquoi elle était allée vivre dans la rue. Elle a répondu que c'était à cause d'une agression sexuelle qu'elle avait subie lors de la visite d'une ferme.

(1410)

C'est à cause d'agressions physiques et sexuelles que des jeunes aboutissent à la rue, mais nous avons peu de programmes de traitement à leur offrir. Tous les organismes actifs dans ce domaine au Canada ont des listes d'attente. La plupart des provinces ne possèdent pas d'établissements de traitement à cet égard. Il en existe un, par exemple, pour tout l'Ontario, et il est situé à Thunder Bay.

Honorables sénateurs, des enfants n'ayant que dix ans vivent dans la rue. Ne valent-ils pas la peine qu'on les sauve? S'ils valent la peine qu'on les sauve, pourquoi ne le faisons-nous pas?

Le Sénégal

Le nouveau gouvernement

Son Honneur le Président: Honorables sénateurs, je profite des dispositions du paragraphe 55(2) du Règlement pour faire une déclaration qui me paraît importante d'un point de vue démocratique.

Au cours du week-end, j'ai représenté le gouvernement canadien à la cérémonie d'assermentation du nouveau président du Sénégal à Dakar. J'interviens aujourd'hui pour parler de cet événement car il s'est agi, à mon avis, d'un étonnant hommage à la démocratie.

Pour la première fois dans ce pays, un changement de gouvernement s'est opéré d'une façon tout à fait pacifique. Le nouveau président, Abdoulaye Wade, que je connais depuis 25 ans, a été chef de l'opposition pendant toutes ces années. Au cours des premières années, il y avait peu d'espoir de parvenir à un changement. C'était l'opinion de la plupart des Sénégalais. Les récentes élections ont amené un changement. Un nouveau gouvernement a été élu. Le président sortant a accepté de bonne grâce l'issue du scrutin. Le nouveau président a demandé au président sortant de le représenter à une importante conférence à l'échelle africaine en Égypte au cours du week-end prochain. Tout cela s'est fait d'une façon parfaitement démocratique.

J'ai eu la chance de parler avec quelques jeunes Sénégalais. Ils m'ont dit: «Nous avions perdu espoir en la démocratie. C'était toujours la même chose. Peu importe ce que nous faisions, les mêmes gens restaient toujours au pouvoir.» Il est bien évident que je ne fais pas là des observations d'un point de vue partisan, mais seulement en partant du principe général que la démocratie l'a emporté.

Les honorables sénateurs auraient aimé constater l'enthousiasme qui régnait là-bas. Cent mille Sénégalais sont entrés dans le stade pour assister à l'assermentation. C'est la cérémonie la plus impressionnante que j'ai vue, et il n'y avait pas d'apparat coûteux. Il y avait simplement 100 000 personnes qui célébraient leur joie, absolument convaincues d'avoir effectué un changement.

Le mois de la sensibilisation au cancer

L'honorable Mabel M. DeWare: Honorables sénateurs, en ce premier jour de séance du mois d'avril, je suis heureuse de voir que de nombreux sénateurs portent l'insigne de la jonquille, marquant ainsi le Mois de la sensibilisation au cancer.

Avril est le Mois de la sensibilisation au cancer et, chaque année, c'est l'occasion pour la Société canadienne du cancer d'organiser partout au Canada une série d'activités pour réunir des fonds et sensibiliser la population au cancer. De même, nous avons tous l'occasion de réfléchir aux répercussions du cancer dans nos vies, de renouveler notre engagement à observer un sain régime de vie et de contribuer au financement de la recherche visant à améliorer la prévention et le traitement du cancer. Il faut souhaiter l'éradication de cette maladie un jour.

On ne peut trop insister sur l'importance du Mois de la sensibilisation au cancer, quand on pense qu'un Canadien sur trois en développera une forme au cours de sa vie. Je pourrais citer de sombres statistiques sur les dizaines de milliers de Canadiens qui recevront un diagnostic de cancer cette année seulement et sur les dizaines de milliers de Canadiens de plus qui en mourront. Aujourd'hui, je mets l'accent sur quelque chose de plus positif, soit l'espoir et la conviction qu'on peut vaincre le cancer.

La Société canadienne du cancer a adopté comme symbole d'espoir la jonquille, cette fleur éclatante et joyeuse qui marque l'arrivée du printemps. D'ailleurs, l'espoir transcende tout l'important travail effectué par la Société canadienne du cancer. Cette dernière, qui existe seulement grâce à des dons, représente aujourd'hui la principale source de financement de la recherche sur le cancer au Canada. Elle offre aussi à la population des programmes de prévention et de dépistage précoce du cancer. Elle distribue de l'information et fournit des services pour répondre aux besoins sociaux, spirituels et émotionnels des victimes du cancer et de leurs proches.

Le cancer a des répercussions sur toutes les vies. Je sais que tous les honorables sénateurs se joignent à moi pour applaudir le courage des victimes du cancer, de leurs amis et de leurs familles, et pour rendre hommage à la Société canadienne du cancer et à ses 350 000 bénévoles.

Taiwan

Le nouveau gouvernement

L'honorable Consiglio Di Nino: Honorables sénateurs, en prenant connaissance des progrès de la démocratie partout dans le monde, j'ai pensé qu'il serait approprié de dire quelques mots sur les événements qui se sont produits récemment à Taiwan.

Avant 1998, il n'y avait pas de démocratie à Taiwan. Depuis l'arrivée de Tchang Kaï-Chek dans l'île, le parti qu'il dirigeait exerçait le pouvoir avec une fermeté extrême. Des élections démocratiques ont eu lieu pour la première fois à Taiwan en 1988. Il y a quelques semaines, Chen Shui-bian a été élu président de Taiwan. Il signait ainsi la première défaite du candidat du Kuomintang depuis la fondation du pays.

Nous devrions nous réjouir; la démocratie marque des points dans de nombreuses régions du monde. Nous devrions joindre nos voix, dans un esprit non partisan, aux autres qui se sont élevées au Canada et ailleurs dans le monde pour féliciter Taiwan et nous réjouir des progrès de la démocratie dans le monde.

En mon nom et au nom de tous les honorables sénateurs, je souhaite à M. Chen bonne chance et de nombreuses années de bon gouvernement démocratique.


[Français]

AFFAIRES COURANTES

Régie interne, budgets et administration

Présentation du septième rapport du comité

L'honorable Pierre Claude Nolin, vice-président du Comité permanent de la régie interne, des budgets et de l'administration, a l'honneur de présenter le rapport suivant:

Le mardi 4 avril 2000

Le Comité permanent de la régie interne, des budgets et de l'administration a l'honneur de présenter son

SEPTIÈME RAPPORT

Nonobstant les Directives régissant le financement des comités du Sénat, votre comité recommande que les fonds des comités suivants soient dégagés pour l'exercice financier 2000-2001, en tant que financement provisoire:

Comité des peuples autochtones

Législation 3 167 $

Comité de l'agriculture et forêts

Étude spéciale 19, 535 $

Comité des banques et du commerce

Législation 55 080 $

Étude spéciale 80 564 $

Comité de l'énergie, de l'environnement et des ressources naturelles

Législation 8 000 $

Étude spéciale 87 307 $

Comité des pêches

Étude spéciale 54 283 $

Comité de la régie interne, des budgets et de l'administration 3 333 $

Comité des affaires juridiques et constitutionnelles

Législation 9 717 $

Comité des finances nationales 5 667 $

Comité des privilèges, du Règlement et de la procédure 3 333 $

Comité des affaires sociales, des sciences et de la technologie

Législation 4 500 $

De la vie et de la mort 2 630 $

Étude spéciale 13 667 $

Comité des transports et des communications

Législation 17 133 $

Étude spéciale 60 050 $

Comité de la Bibliothèque du Parlement (mixte) (portion du Sénat) 833 $

Comité des langues officielles (mixte) (portion du Sénat) 715 $

Respectueusement soumis,

Le vice-président,

PIERRE CLAUDE NOLIN

Son Honneur le Président: Honorables sénateurs, quand étudierons-nous ce rapport?

(Sur la motion du sénateur Nolin, l'étude du rapport est inscrite à l'ordre du jour de la prochaine séance.)

Examen de la réglementation

Dépôt du deuxième rapport du comité mixte permanent

L'honorable Céline Hervieux-Payette: Honorables sénateurs, j'ai l'honneur de déposer le deuxième rapport du Comité mixte permanent d'examen de la réglementation, portant sur le paragraphe 36(2) du Règlement de pêche de l'Ontario de 1989, enregistré sous le DORS/89-93.
[Traduction]

(1420)

PÉRIODE DES QUESTIONS

Réponses différées à des questions orales

L'honorable Dan Hays (leader adjoint du gouvernement): Honorables sénateurs, j'ai la réponse à une question posée au Sénat le 21 mars 2000 par le sénateur Stratton au sujet de la crise agricole dans les Prairies et le problème des inondations au Manitoba et en Saskatchewan; la réponse à une question posée au Sénat le 21 mars 2000 par le sénateur Atkins au sujet de la condition de résidence applicable aux candidats à des emplois; la réponse à une question posée au Sénat le 22 mars 2000 par le sénateur Andreychuk au sujet de la Chine et de l'influence de la politique environnementale sur l'octroi de fonds au projet du barrage des Trois-Gorges; et la réponse à une question posée au Sénat le 23 mars par le sénateur Forrestall au sujet des hélicoptères Sea King et du niveau d'entraînement des pilotes.

L'agriculture et l'agroalimentaire

La crise agricole dans les Prairies-Le problème des inondations au Manitoba et en Saskatchewan-Demande de réponse

(Réponse à la question posée par l'honorable Terry Stratton le 21 mars 2000)

Le gouvernement du Canada a modifié certains programmes de protection du revenu afin d'aider les agriculteurs qui ont été incapables d'ensemencer à cause des pluies printanières.

En partenariat avec le gouvernement de la Saskatchewan, il a annoncé une allocation de 50 $ par acre aux agriculteurs possédant des parcelles de terre non ensemencées. Le gouvernement du Manitoba pouvait aussi se prévaloir de cette offre.

Il a prolongé les délais d'ensemencement pour l'assurance-récolte.

Il a modifié le programme d'Aide en cas de catastrophe liée au revenu agricole (ACRA) afin de permettre aux agriculteurs d'obtenir des paiements provisoires anticipés au titre de leurs prestations de 1999.

Il a changé certaines dispositions du Compte de stabilisation du revenu net (CSRN) pour faciliter l'accès aux fonds.

L'ACRA a été conçu pour permettre aux agriculteurs qui accusent d'importantes pertes de revenu de recevoir des prestations, peu importe les circonstances. Cette mesure vise notamment les agriculteurs touchés par les inondations.

De plus, au Manitoba, les dépenses admissibles en vertu des Accords d'aide financière en cas de catastrophe (AAFCC) devraient se situer autour de 16,4 millions $, dont la quote-part fédérale serait d'environ 12,75 millions $. Les dépenses admissibles concernent les propriétés privées, les routes, les ponceaux et autres travaux d'infrastructure.

En Saskatchewan, les dépenses liées aux AAFCC sont évaluées à 2,5 millions $, ce qui représente un montant d'environ 1 million $ à la charge du gouvernement fédéral.

Les pertes non admissibles au partage des coûts au titre des AAFCC sont traitées dans le cadre du programme ACRA.

L'environnement

La condition de résidence pour l'obtention d'un emploi

(Réponse à la question posée par l'honorable Norman K. Atkins le 21 mars 2000)

Environnement Canada n'a pas de critère de résidence. La Loi sur l'emploi dans la fonction publique, la loi qui régit l'embauche pour une bonne partie de la fonction publique du Canada, permet à la Commission de la fonction publique, en tant qu'agent recruteur, de déterminer des critères géographiques, organisationnels et professionnels que les candidats et candidates doivent respecter pour être admissibles à des postes.

Bien que la Commission de la fonction publique exige souvent que les candidats et candidates potentiels résident au Canada, il ne s'agit pas d'une règle absolue et inflexible. La Commission a l'habitude d'inclure les Canadiens et Canadiennes qui posent leur candidature à des concours publics s'ils sont temporairement à l'extérieur du pays et ont une résidence permanente dans la zone de sélection.

La Société pour l'expansion des exportations

La Chine-L'influence de la politique environnementale sur l'octroi de fonds au projet du barrage des Trois-Gorges

(Réponse à la question posée par l'honorable A. Raynell Andreychuk le 22 mars 2000)

La position du Canada est que les Chinois ont soupesé soigneusement les avantages (lutte contre les inondations, production d'énergie et transport par eau) et les inconvénients (problèmes environnementaux et relocalisation de la population) de ce projet avant de l'entreprendre.

Après des études, des analyses et des délibérations considérables, le gouvernement chinois a conclu que l'impératif de la lutte contre les inondations et les avantages de la production d'énergie et du transport l'emportaient sur les incidences environnementales négatives du projet. La Chine considère la nécessité d'atténuer les inondations annuelles du fleuve Yang-Tsé comme la principale raison d'être de ce projet. De graves inondations dans le bassin du fleuve Yang-Tsé ont tué des milliers de personnes et causé des dommages importants aux collectivités avoisinantes. Le gouvernement chinois a déjà démontré qu'il gère la réinstallation de manière à réduire le plus possibles les désagréments subis par la population.

Ce projet permettra également de produire une quantité appréciable d'électricité et d'améliorer la navigation à l'intérieur de la Chine. Il permettra de répondre à environ 9 p. 100 des besoins actuels en énergie, besoins qui sont sans cesse croissants. Cette énergie est renouvelable et considérablement moins polluante que celle générée par les centrales au charbon qui fournissent les trois quarts de l'énergie produite en Chine et contribuent au réchauffement de la planète.

En outre, la participation d'entreprises canadiennes pourrait aider à atténuer les répercussions environnementales négatives du projet, car les normes et pratiques environnementales élevées des fournisseurs canadiens seraient mises à la disposition de l'équipe de projet chinoise.

La défense nationale

Les hélicoptères Sea King-Le niveau d'entraînement au vol des pilotes

(Réponse à une question posée par l'honorable J. Michael Forrestall le 23 mars 2000)

Le ministre de la Défense nationale a déclaré à plusieurs reprises que les Forces canadiennes doivent remplacer les hélicoptères Sea King et que le projet des hélicoptères maritimes est sa première priorité en matière d'équipement.

Beaucoup d'importance est accordée à la sécurité du personnel et c'est un principe que les Forces canadiennes ne compromettront pas. Les Forces canadiennes mettent tout en oeuvre afin que les Sea King puissent opérer en toute sécurité d'ici l'entrée en service du nouvel hélicoptère maritime. La Force aérienne suit un rigoureux programme d'entretien et d'inspection, et des améliorations sont apportées aux Sea King selon le besoin.

Quant à l'entraînement au vol, les équipages du Sea King satisfont depuis toujours aux exigences les plus rigoureuses en matière de formation. La Force aérienne s'efforce constamment d'offrir un programme d'instruction qui tient compte à la fois des capacités de l'hélicoptère et des missions probables. Les équipages du Sea King effectuent suffisamment d'heures de vol pour maintenir les compétences dont ils ont besoin pour faire face à toute une gamme de missions et de situations. L'opération menée récemment pour sauver treize membres d'équipage d'un navire de charge panaméen montre bien la validité et l'efficacité de l'instruction reçue par le personnel navigant du Sea King.


ORDRE DU JOUR

Projet de loi sur l'Accord définitif nisga'a

Troisième lecture-suite du débat

L'ordre du jour appelle:

Reprise du débat sur la motion de l'honorable sénateur Austin, c.p., appuyée par l'honorable sénateur Gill, tendant à la troisième lecture du projet de loi C-9, Loi portant mise en vigueur de l'Accord définitif nisga'a. -(Débat suspendu le 30 mars 2000).

Son Honneur le Président: Je rappelle aux honorables sénateurs que le débat sur l'article n'a pas été clos la dernière fois que nous nous sommes rencontrés et qu'il n'était que suspendu. Nous en sommes aux questions et observations. S'il y en a, nous allons les entendre avant de poursuivre le débat sur la motion de troisième lecture

L'honorable Jack Austin: Honorables sénateurs, je répondais à une question la dernière fois que nous siégions. J'aimerais répondre à toutes les questions qui m'ont été posées avant que l'honorable sénateur St. Germain n'entame son débat.

Son Honneur le Président: Est-ce d'accord, honorables sénateurs?

Des voix: D'accord.

Son Honneur le Président: Nous allons donc en terminer avec les questions posées au sénateur Austin.

Le sénateur Austin: Honorables sénateurs, le sénateur St. Germain m'a posé une question au sujet de la reddition de comptes. Comme on peut le voir à la page 906 des Débats du Sénat du 30 mars, il m'a demandé:

Y a-t-il possibilité que des paiements de transfert soient retirés s'il y a absence de responsabilité financière au sein de ces nations? La province et le gouvernement fédéral ont-ils le droit de retirer les fonds?

Honorables sénateurs, en matière de responsabilité financière, le gouvernement nisga'a doit respecter les mêmes normes que les autres gouvernements pour ce qui concerne l'administration financière et il doit publier ses lois dans un registre public. Si le Canada ou la Colombie-Britannique financent des programmes ou des services offerts par le gouvernement nisga'a, des états financiers vérifiés doivent être produits et le vérificateur général peut les examiner. Dans le cas d'un financement fédéral, la Loi sur la gestion des finances publiques s'applique totalement à tout paiement de transfert.

En outre, les trois parties à l'Accord définitif nisga'a ont signé un accord afférent, distinct du traité, l'Accord de financement budgétaire comme on l'appelle. Ce n'est pas un traité; par conséquent, il n'est pas protégé par l'article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982. L'Accord de financement budgétaire décrit le financement fourni par la Colombie-Britannique et le Canada à la nation nisga'a et énumère les responsabilités du gouvernement nisga'a quant à la prestation des services et à la réalisation des programmes convenus.

L'Accord de financement budgétaire précise, au paragraphe 87, les circonstances qui constitueraient un manquement, notamment le non-respect des responsabilités, la faillite ou l'insolvabilité. Le paragraphe 90 explique le droit de la partie assurant le financement de déduire des paiements les sommes qui devaient être fournies pour la réalisation des programmes ou des services affectés.

L'Accord de financement budgétaire prévoit aussi la création d'un comité des finances tripartite, regroupant des représentants des Nisga'as et des gouvernements provincial et fédéral, qui contrôlera les arrangements financiers entre les parties et aidera celles-ci à régler les problèmes le cas échéant. Ce comité doit veiller à prévenir les manquements potentiels.

Enfin, il faut souligner que l'Accord de financement budgétaire doit être renégocié tous les cinq ans.

Honorables sénateurs, à mon avis, ces dispositions et les divers freins et contrepoids en place représentent, en matière de reddition de comptes, les normes les plus élevées auxquelles on peut s'attendre de la part d'un gouvernement quel qu'il soit.

Je vais transmettre au sénateur St. Germain deux pages de l'Accord financier budgétaire où l'on trouve les manquements aux obligations et les recours prévus aux articles 87 à 92.

Honorables sénateurs, le sénateur Beaudoin a parlé du rôle d'un traité visé à l'article 35 comme étant protégé par la Constitution. Il a précisé qu'il souscrirait parfaitement au caractère constitutionnel de cet accord s'il estimait qu'il s'agissait d'un traité visé à l'article 35 de la Constitution.

Je voudrais attirer l'attention du sénateur Beaudoin - voire de tous les sénateurs - sur les dispositions du projet de loi C-9 et de l'Accord définitif nisga'a même qui clarifient ce point. L'article 3 du projet de loi C-9 prévoit ceci:

L'Accord définitif nisga'a constitue un traité et un accord sur des revendications territoriales au sens des articles 25 et 35 de la Loi constitutionnelle de 1982.

Sous la rubrique «Dispositions générales» du chapitre 2 de l'Accord définitif nisga'a, le paragraphe 1 dit ceci:

L'Accord est un traité et un accord sur des revendications territoriales au sens des articles 25 et 35 de la Loi constitutionnelle de 1982.

Le sénateur Sparrow m'a posé des questions au sujet des sondages. Dans mes troisièmes observations de lecture, le 30 mars, j'ai dit qu'en 1998 les sondages montraient qu'une majorité de Britanno-Colombiens appuyaient l'Accord définitif nisga'a. J'ai dit également ceci:

Au moment où la popularité du gouvernement Clark chutait à son plus bas niveau jamais enregistré, les sondages faisaient état d'un modeste déclin de l'appui à l'accord.

Le sénateur Sparrow m'a demandé des précisions sur les sondages, et je les donnerai dans les termes suivants.

Dans une chronique politique parue le 2 décembre 1998 dans le Vancouver Sun, le journaliste Vaughn Palme mentionnait les constatations de Mark-Trend, une maison de sondages de la Colombie-Britannique qui n'est pas associée généralement au NPD, selon laquelle 35 p. 100 des répondants ne savaient que penser du traité nisga'a; 12 p. 100 n'étaient pas au courant du traité; 30 p. 100 l'appuyaient un peu; et 24 p. 100 s'y opposaient un peu.

Dans un article paru le 22 octobre 1998, Dianne Rinehart écrivait que, selon un sondage Angus Reid, 51 p. 100 des Britanno-Colombiens considéraient l'Accord définitif nisga'a comme un pas dans la bonne direction, 33 p. 100 des personnes interrogées soutenant le contraire et 16 p. 100 n'ayant pas de point de vue arrêté. Le sondage a été décrit comme ayant été fait peu de temps après la signature de l'Accord définitif nisga'a et avant l'engagement de poursuites judiciaires par le Parti libéral provincial et d'autres.

Le 6 novembre 1999, Rick Molfina a fait les observations suivantes dans le Ottawa Citizen:

L'attitude des Canadiens à l'égard de l'autonomie administrative des autochtones se durcit, mais une majorité au Canada et en Colombie-Britannique souscrit à l'historique traité nisga'a, nous apprend une enquête effectuée par le gouvernement.

«Les Canadiens sont de moins en moins portés à penser que les autochtones jouissent d'un droit historique en matière d'autonomie gouvernementale, et ils ont plutôt tendance à croire de plus en plus que ces peuples n'y ont pas plus droit que les autres ethnies du Canada», lit-on dans le rapport intitulé: Survey of Land Claims and Nisga'a Treaty.

Le ministère des Affaires indiennes a reçu le sondage Angus Reed en mars 1999. Quelque 1 200 Canadiens ont été consultés.

De ce nombre, qui s'intéressent au traité, 48 p. 100 y souscrivaient avec enthousiasme, alors que 25 p. 100 s'y opposaient farouchement. Les autres personnes sondées s'y opposaient ou y souscrivaient dans une plus ou moins grande mesure, sur une échelle de 1 à 7, 1 représentant une forte opposition et 7, un appui sans équivoque.

En Colombie-Britannique, 41 p. 100 des personnes ayant participé à ce sondage appuyaient le traité sans réserve, alors que 39 p. 100 s'y refusaient avec véhémence.

(1430)

Honorables sénateurs, je voudrais parler aussi brièvement de la question de la possible abrogation du traité, que le sénateur Kinsella a soulevée. J'ai demandé à mes collaborateurs de fouiller plus à fond la question, qui est des plus intéressantes. J'espère qu'il me sera donné de reprendre la parole, lors du débat, pour répondre à ce sujet au sénateur.

Son Honneur le Président: Honorables sénateurs, le sénateur Austin indique qu'il souhaite répondre ultérieurement au sénateur Kinsella. Comme le sénateur Austin n'a normalement pas le droit de répondre à l'étape de la troisième lecture, est-ce d'accord pour l'y autoriser?

Des voix: D'accord.

L'honorable Gerry St. Germain: Honorables sénateurs, la question du sénateur Kinsella m'en inspire une autre. Dans sa réponse, le sénateur Austin pourrait peut-être nous en dire davantage sur la non-délégation de cet accord là où il a été constitutionnalisé. Il a laissé entendre que cela s'imposait pour la certitude, la confiance et diverses autres raisons.

Tous les autres accords qui ont été conclus avec nos peuples autochtones, et notamment les Sechelt, les Sawtooth, les Gwich'in et les Yukon, ont été fondés sur une délégation. Le sénateur est-il en train de dire que ces accords sont menacés?

Je serais moi-même très inquiet si son gouvernement estimait ces accords menacés à cause de la manière dont ils ont été conclus. Pour autant que je sache, ces accords ont été conclus de bonne foi et ne sont pas menacés. Qu'un accord soit délégué ou pas, il devrait être respecté de façon tout aussi honorable. Le sénateur voudra peut-être répondre à ma question plus tard, en même temps qu'à la question du sénateur Kinsella.

Le sénateur Austin: Honorables sénateurs, cela ne me dérange pas de répondre tout de suite à la question. Du point de vue juridique et du respect par l'État, qu'elle soit protégée par l'article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 ou qu'elle fasse l'objet d'une mesure législative avec la délégation des pouvoirs, l'obligation de l'État est la même. Je ne vois aucune différence. Je n'ai aucun problème avec la validité des accords existants. Rien dans le projet de loi C-9 ne modifie ces accords.

Pendant que j'y suis, j'aurais dû remarquer que le sénateur Sparrow a demandé la liste des témoins qui ont demandé à comparaître, mais que l'on n'a pas voulu entendre, et d'autres renseignements à l'égard des témoins. Ces renseignements ont été fournis au sénateur Sparrow et à tous les sénateurs qui ont participé au travail du comité.

L'honorable Lowell Murray: Honorables sénateurs, je crois que le gouvernement a ici un problème de cohérence. Le gouvernement a refusé récemment ce que je considère comme une proposition très modeste de la part du grand chef Phil Fontaine d'amendement du projet de loi C-20. Cette proposition visait à assurer aux peuples autochtones du Québec une place à la table de négociations en cas de négociation de la sécession. Le gouvernement l'a rejetée au motif que les peuples autochtones du Québec ne sont pas parties à la formule de modification.

Pourtant, il semble que nous ayons dans ce projet de loi une proposition visant à consacrer aux termes de l'article 35 un accord d'autonomie gouvernementale et un traité avec les Nisga'as en Colombie-Britannique qui mettent tout simplement de côté la division des pouvoirs prévue dans la Loi constitutionnelle de 1867.

Le sénateur lui-même a fait la déclaration suivante au sujet de l'article 35, comme en témoignent les Débats du Sénat du jeudi 30 mars 2000, à la page 910:

Je n'ai rien contre le partage des pouvoirs entre les articles 91 et 92. Nous avons pris cette décision en 1982. D'aucuns voudraient abroger l'article 35. Ils s'appuient sur des propositions qui ne reconnaissent même pas son existence.

Je ne me mets pas dans cette catégorie, pas plus que d'autres sénateurs. J'ai fait partie du comité mixte du Sénat et de la Chambre des communes qui a étudié la résolution visant la canadianisation de la Constitution entre 1980 et 1982, tout comme le sénateur Joyal et mon honorable collègue. Au moins trois d'entre nous ici aujourd'hui étaient ici ce soir-là, en 1981, lorsque l'article 35 a été approuvé. Je me souviens bien du discours très émouvant que le sénateur Austin a prononcé à cette occasion, rappelant ses premières fonctions politiques à Ottawa à titre d'adjoint politique de l'honorable Arthur Laing, ministre des Affaires indiennes dans le gouvernement Pearson. Je suis certain qu'il s'en souvient aussi.

Je demande aux sénateurs de réfléchir d'abord aux circonstances dans lesquelles le mot «existants» a été intégré à l'article 35. Je dis qu'on a fait cela pour calmer certaines personnes. Lorsque nous en sommes arrivés à l'article 35, l'initiative de rapatriement ne se limitait plus à Ottawa, au Nouveau-Brunswick et à l'Ontario. M. Trudeau avait maintenant neuf provinces de son côté, comme nous le savons, et l'article 35 faisait l'objet de négociations très intenses et très sérieuses, comme mon ami s'en souviendra.

Je demande aux sénateurs de réfléchir au fait que, après nous être entendus au sujet de l'article 35, nous avons prévu une série de conférences constitutionnelles, des conférences des premiers ministres, pour examiner - et je cite ce que dit l'article - les questions constitutionnelles qui intéressent directement les peuples autochtones du Canada:

[...] notamment la détermination et la définition des droits de ces peuples à inscrire dans la Constitution du Canada...

Cela me fait dire que nous utiliserons de façon plutôt libre l'article 35 en l'invoquant comme justification pour consacrer un accord d'autonomie gouvernementale et un traité qui mettent de côté la division des pouvoirs prévue dans la Constitution de 1867.

Le sénateur Austin: Honorables sénateurs, je crois que les excellents commentaires du sénateur Murray relèvent plutôt du débat et ne ressemblent pas à une question.

Le sénateur Lynch-Staunton: Observations.

Le sénateur Austin: Je serai heureux, lorsque je mettrai fin au débat, de revenir sur le sujet et de faire part de mes observations.

L'honorable Gerald J. Comeau: Honorables sénateurs, j'ai posé des questions en comité sur l'attribution d'environ 17 p. 100 du total des prises admissibles de la rivière Nass aux Nisga'as. Le représentant du ministère de la Justice a répondu qu'étant donné qu'il ne s'agissait pas d'un secteur de pêche réservé, le gouvernement était libre d'attribuer un tel droit à qui il voulait.

Cependant, j'ai dit alors qu'on devrait donner ce pouvoir au gouvernement par voie législative.

(1440)

Une fois ce droit accordé aux Nisga'as, il est impossible de le leur retirer. Le Parlement ne peut plus ainsi y toucher en vertu de l'article 35. Nous soutenons que le Parlement n'a pas le droit de céder la responsabilité d'accorder les droits de pêche.

Puisque je n'ai pas obtenu de réponse à ma question, le sénateur Austin aurait-il une réponse directe à me donner?

Le sénateur Austin: Honorables sénateurs, j'ai en main une lettre datée du 25 février qui a été envoyée au sénateur Comeau par Tom Molloy, le négociateur principal du gouvernement fédéral. Je vais lire aux sénateurs la réponse du négociateur principal. Permettez-moi de ne pas lire toute la lettre, mais seulement les passages qui donnent une idée générale de sa réponse.

[...] vous m'avez demandé si, à mon avis, le traité nisga'a créait des droits «exclusifs» de pêche, ce qui va à l'encontre de la Magna Carta. Comme vous le savez peut-être, c'est une des questions qu'a soulevées la British Columbia Fisheries Survival Coalition [...] dans une contestation, en vertu de la Constitution, du traité nisga'a devant la Cour suprême de la Colombie-Britannique. La Survival Coalition affirme qu'il y aurait lieu d'apporter une modification à la Constitution pour donner effet au traité nisga'a (affirmation semblable à celle qui a été faite dans la contestation présentée par Gordon Campbell et des membres du Parti libéral de la Colombie-Britannique.) La Survival Coalition soutient également en cour que l'État garde les pêches en fiducie, au profit des Canadiens, et a l'obligation de gérer les pêches au profit des Canadiens.

La Magna Carta de 1215 établit un droit public, reconnu en common law, d'accès à la pêche. La Magna Carta visait à restreindre le pouvoir du roi, qui était propriétaire du fond des océans, d'accorder des droits exclusifs de pêche. La Cour suprême du Canada et le comité judiciaire du Conseil privé ont décidé, au début du XXe siècle, que la Magna Carta s'appliquerait à la pêche dans les marées des zones côtières de la Colombie-Britannique. Dans R. v. Gladstone (1996) 137 DLR [...] la Cour suprême du Canada a reconnu que le droit autochtone de pêche peut coexister avec le droit public de pêche, aux conditions suivantes:

Il convient de noter que les droits autochtones reconnus et confirmés par le paragraphe 35(1) [de la Loi constitutionnelle de 1982] existent dans un contexte juridique où, depuis l'époque de la Magna Carta, le droit traditionnel de pêcher dans les marées ne peut être abrogé que par la promulgation de la loi afférente [...]. Bien que la reconnaissance des droits autochtones traditionnels dans la Constitution ait manifestement des répercussions sur les droits traditionnels du public de pêcher dans les marées, il n'était certes pas prévu, par la promulgation du paragraphe 35(1), d'éteindre ces droits traditionnels lorsqu'il existait un droit autochtone de pratiquer une pêche commerciale [...]. En tant que droit traditionnel, et non constitutionnel, le droit d'accès public à la pêche doit clairement se classer au deuxième rang après les droits autochtones; cependant, la reconnaissance des droits autochtones ne devrait pas être interprétée comme l'extinction du droit d'accès public à la pêche.

La Magna Carta visait à limiter le pouvoir permettant au roi de désigner des lieux de pêche exclusifs où aucun autre citoyen ne pouvait pêcher. L'affaire Gladstone démontre que les droits de pêche des autochtones ne leur donnent pas de lieux de pêche exclusifs où personne d'autre ne peut pêcher. Les droits des autochtones ne créent pas de droits de propriété exclusifs sur certains lieux, contrairement à la Magna Carta. L'analyse de l'affaire Gladstone s'applique aux droits de pêche issus de traités des Nisga'as. Au même titre qu'un droit de pêche autochtone dans le fleuve Nass ne constitue pas un droit de propriété exclusif abolissant tout accès public à ce fleuve, les futurs droits issus de traités des Nisga'as ne seront pas des droits de propriété exclusifs interdisant l'accès de certaines zones de pêche au reste de la population.

Tant les droits de pêcher accordés aux autochtones que les droits issus de traités ne peuvent être donnés qu'aux «peuples autochtones du Canada» aux termes de la Loi constitutionnelle de 1982. Les non-autochtones ne peuvent légalement pas exiger de devenir membres d'un groupe autochtone quelconque afin d'obtenir les avantages tirés des droits de pêche accordés aux autochtones ou issus de traités. Appliquer l'affaire Gladstone à ce traité ne signifie pas qu'on nie à la population en général l'accès aux zones de pêche, contrairement à ce qui est prévu dans la Magna Carta.

C'est pourquoi, pendant notre exposé devant les sénateurs, nous avons insisté sur le fait que la création, pour les Nisga'as, de droits de pêche issus de traités, même s'ils s'appliquent exclusivement aux Nisga'as, n'interdisent à personne d'autre de pêcher. Comme le conseiller juridique l'a déclaré pendant l'exposé du ministre devant le Sénat, la mise en oeuvre du traité nisga'a n'empêchera pas d'autres groupes autochtones d'exercer tout droit de pêche qu'ils peuvent avoir et n'empêchera pas non plus la pêche récréative et commerciale en vertu des lois d'application générale. En ce sens, le quota ou le pourcentage des prises accordé aux Nisga'as ne constitue pas une zone de pêche «exclusive» au sens légal envisagé dans les affaires liées à la Magna Carta.

Le traité nisga'a a été rédigé de sorte à empêcher que les Nisga'as aient des droits exclusifs de vente du saumon du fleuve Nass. Le chapitre du traité sur les pêches empêche les Nisga'as de vendre des saumons d'une espèce donnée si les pêcheurs commerciaux et récréatifs ne sont pas autorisés à prendre des saumons de cette espèce. On lit au paragraphe 33 du chapitre sur les pêches:

Si, dans toute année, il n'y a aucune récolte dirigée dans les pêches commerciales ou récréatives canadiennes d'une espèce de saumon du Nass, la vente de cette espèce de saumon du Nass récoltée dans les récoltes dirigées de cette espèce dans les pêches nisga'a de cette année n'est pas permise.

Le fait qu'aucun droit de propriété exclusif sur le poisson n'est créé est confirmé au paragraphe 3 du chapitre du traité sur les pêches:

L'Accord n'a pas pour but de modifier les lois d'application générale fédérales et provinciales en ce qui a trait à la propriété du poisson ou des plantes aquatiques.

Enfin, comme l'a dit notre conseiller juridique pendant l'exposé du ministre devant le Sénat, les Nisga'as ne peuvent pas interdire la pêche par qui que ce soit sur quelque partie que ce soit du fleuve Nass. Mises à part les dispositions sur la conservation des stocks, qui sont à l'avantage de toutes les parties, rien dans le traité n'exige que le ministère des Pêches et des Océans interdise la pêche sur le fleuve Nass ou refuse un droit de navigation sur le fleuve à quelque personne que ce soit qui désire y pêcher. En fait, le paragraphe 14 du chapitre sur l'accès confirme expressément tous les droits d'accès du public sur les eaux navigables contenues à l'intérieur du territoire nisga'a.

Veuillez agréer, honorable sénateur, l'expression de mes sentiments distingués.

W. Thomas Molloy, c.r.

Le sénateur Comeau: Il existe de nombreuses interprétations de M. Molloy, qui est un des négociateurs, comme j'ai cru le comprendre, de cet accord. Manifestement, il a écrit de nombreuses choses pour tenter d'embrouiller tout le monde. Cela ne répond toujours pas à ma question.

En tant que parlementaires et que gouvernement, cette ressource ne nous appartient pas. Elle appartient au public canadien. Il ne nous appartient donc pas de la donner à qui bon nous semble. Nous ne ferions pas notre devoir de parlementaires d'administrer cette ressource pour le gouverneur en conseil, qui attend de nous que nous assumions cette responsabilité. Selon ce que je comprends, le Parlement n'a pas le droit de renoncer à cette responsabilité, particulièrement dans un cas où la ressource ne nous appartient même pas.

Le sénateur Austin: Je ne peux que répondre en disant que je ne crois pas que la lettre ait été écrite pour embrouiller tout le monde, et je ne n'ai pas le sentiment d'être embrouillé en la lisant. Je crois pouvoir comprendre cet argument.

De toute façon, la décision R. v. Gladstone dit, comme je l'ai déjà indiqué, que le droit traditionnel de pêcher dans les eaux de marée ne peut être abrogé que par la promulgation d'une loi compétente.

Le sénateur Comeau: Si de tels arrangements peuvent être faits afin que le Parlement puisse renoncer à sa responsabilité en matière de ressources halieutiques et la transmettre au Cabinet, qui, à son tour, donnera ces ressources à qui il veut - qu'il s'agisse d'un groupe d'autochtones, d'amis du ministre ou du premier ministre - cela ne crée-t-il pas un précédent selon lequel des ressources telles que les pétoncles de la côte est du Canada pourraient être allouées à certains groupes à perpétuité?

(1450)

Est-ce le sort qui attend le homard de la côte atlantique? Le ministre Nault obtiendra-t-il le pouvoir d'attribuer les stocks de homard à des groupes de son choix? Nous sommes peut-être en train de créer un précédent auquel il faut réfléchir sérieusement.

Le sénateur Austin: Je comprends les préoccupations du sénateur Comeau, mais je ne crois pas qu'elles puissent découler du projet de loi à l'étude. L'alinéa que je viens de lire donne au Parlement un pouvoir qu'il peut choisir d'exercer, mais, dans le cas des Nisga'as, il ne l'a pas fait, comme le reste de la lettre le précise. Il ne s'agit pas de pêches exclusives. Par conséquent, les principes qui servent de fondement à l'argumentation du sénateur Comeau ne s'appliquent pas.

Je comprends qu'on s'inquiète de la répartition des ressources en poisson ou en fruits de mer, mais c'est là, d'après moi, une question politique plutôt que juridique.

Le sénateur Comeau: Il est évident que je dois transmettre la réponse du sénateur aux entreprises de pêche de la côte est et de la côte ouest pour leur faire savoir que c'est ce qui risque d'arriver au homard, cette ressource que certains groupes réclament en ce moment. Le sénateur dit que c'est une question politique. Il semble que le gouvernement ait décidé de l'orientation à prendre dans ce dossier politique. Il peut y avoir des opinions contraires à ce que le gouvernement propose.

Le sénateur Austin: Honorables sénateurs, le projet de loi vise uniquement les Nisga'as. Je ne souhaite pas pour l'instant discuter de l'élargissement de son application. Je ne suis pas le porte-parole du gouvernement, seulement le parrain du projet de loi. Cependant, dans mes observations, en mettant fin au débat de troisième lecture, je dirai un mot de la décision rendue dans l'affaire Marshall.

Le sénateur Comeau: Honorables sénateurs, le traité des Nisga'as contient également des dispositions sur les ressources de la pêche autres que le saumon dans la vallée de la Nass. Il donne au gouvernement le droit de négocier des droits d'exploitation de ces ressources. En réalité, le Parlement donne au Cabinet carte blanche dans l'attribution de ces ressources.

Est-ce également un précédent qui s'appliquera aux ressources de la pêche dans l'ensemble du Canada?

Le sénateur Austin: Honorables sénateurs, je pense pouvoir traiter du reste de la question lorsque je mettrai fin au débat.

L'honorable A. Raynell Andreychuk: Honorables sénateurs, j'espère que le sénateur Austin aura assez de patience pour écouter mes questions sur les droits des minorités.

Je commencerai par la Charte canadienne des droits et libertés. Au cours de nos audiences, on nous a dit qu'elle s'appliquerait. Le préambule du projet de loi C-9 dit pourtant ceci:

Attendu que l'Accord définitif nisga'a déclare que la Charte canadienne des droits et libertés s'applique au gouvernement nisga'a en ce qui concerne toutes les questions relevant de sa compétence, eu égard au caractère libre et démocratique du gouvernement nisga'a, comme le stipule l'accord;

Il semble que l'article 25 de la Charte canadienne des droits tienne déjà compte des philosophies, des traditions et des pratiques culturelles distinctes des autochtones. De plus, si nous considérons qu'il s'agit d'un troisième ordre de gouvernement, l'article 33 s'appliquerait et les autochtones pourraient s'en prévaloir comme disposition dérogatoire. Par conséquent, pourquoi a-t-il été nécessaire d'ajouter quelque chose après «la Charte canadienne des droits et libertés s'applique»?

Le sénateur Austin: Je vais devoir étudier la question, honorables sénateurs. J'avais demandé qu'on me soumette des préavis des questions lorsque nous avons terminé nos travaux jeudi dernier, mais je n'en ai reçu aucun. La question du sénateur est particulièrement intéressante et porte sur un aspect que je n'ai pas étudié en détail. Je suis impatient de le faire.

Le sénateur Andreychuk: Je ne croyais pas que cette question prendrait le sénateur Austin de court, car je l'ai posée à maintes occasions au sein du comité. Je vais attendre une réponse à cette question et je soumettrai mes autres questions par écrit.

La majorité au sein du comité a fait une observation que certains d'entre nous n'appuient pas. La dernière phrase du rapport est ainsi libellée:

Par conséquent, votre comité demande instamment au gouvernement fédéral et à ses partenaires dans la négociation de tenter par tous les moyens possibles de régler la question des revendications territoriales qui se chevauchent à la satisfaction de toutes les Premières nations concernées avant la conclusion d'autres accords sur des revendications territoriales.

Si l'on reconnaît les Gitanyow et les Gitsxan comme étant des Premières nations et comme des participants aux négociations avec le gouvernement fédéral, pourquoi devraient-ils avoir moins de droits que les autres Premières nations, ce qui serait le cas si aucun autre accord n'est négocié, à moins que la question des revendications qui se chevauchent ne soit réglée?

Le sénateur Austin: Ce n'est pas du tout ce que nous disons. Dans cette observation, nous reconnaissons l'équité prévue dans l'Accord définitif nisga'a, lequel prévoit des rajustements à la suite de négociations ultérieures ou des conséquences d'une contestation. Nous exprimons aussi nos préoccupations par rapport aux négociations ultérieures. Nous demandons au gouvernement fédéral et à ses partenaires dans la négociation de déployer des efforts énergiques, mais nous ne leur demandons absolument pas de se garder de conclure d'autres accords s'ils estiment que les parties ont négocié de bonne foi et s'ils croient que ces accords respectent tous les autres critères que le ministre Nault a exposés lorsqu'il a témoigné devant le comité.

Le sénateur Andreychuk: Le sénateur est-il en train de dire que tous les efforts ont été faits pour régler les questions de chevauchement avant de commencer à négocier et que, par conséquent, les minorités Gitxsan et Gitanyow n'ont pas été lésées? Si c'est le cas, à quoi rime la dernière phrase?

Le sénateur Austin: Honorables sénateurs, nous disons que l'accord avec les Nisga'as a été conclu au terme de négociations menées de bonne foi et que les droits autochtones des Gitxsan et des Gitanyow ne sont pas absolument pas compromis. Si ces bandes ont établi leurs droits par négociation ou par contentieux, ces droits seront pris en considération dans l'accord nisga'a. Je suis convaincu que l'honorable sénateur est bien au courant des articles 33 à 35 de l'Accord définitif nisga'a.

Le sénateur Andreychuk: Je suis heureuse que le sénateur Austin mentionne ces articles. Ne croit-il pas que ces articles montrent précisément que le gouvernement n'agit pas d'une façon appropriée envers tous les autochtones en tant que fiduciaire, qu'il s'est rangé du côté des Nisga'as contre les Gitanyow et les Gitxsan? Est-ce une bonne politique que d'être perçu comme appuyant une revendication autochtone aux dépens d'une autre, à partir du moment où nous acceptons le point de vue fondamental selon lequel tous les autochtones font partie des Premières nations et doivent être traités de façon égale par notre gouvernement?

Le sénateur Austin: Le ministre Nault a traité à fond cette question au cours de son témoignage.

À un certain moment au cours des négociations, le gouvernement du Canada doit prendre la décision d'aller de l'avant en ce qui a trait aux droits des gens avec lesquels il négocie. Pour éviter de nuire à d'autres droits, les dispositions de l'Accord final avec les Nisga'as garantissent ces droits s'ils sont acceptés dans le cadre d'un processus de négociation ou par l'intermédiaire des tribunaux. Je crois donc qu'il n'y a rien qui nous permette d'affirmer que le gouvernement du Canada est partial ou qu'il fait preuve de préjugé de quelque façon que ce soit.

Madame le sénateur Andreychuk propose qu'on arrête les négociations de traités et les travaux de préparation d'ententes avec les collectivités autochtones. Elle affirme que dans un convoi, le plus lent navire devrait déterminer la vitesse de tout le groupe. Elle souligne que les bandes de Gitanyow et de Gitxsan, dans ce cas particulier, devraient avoir le droit de bloquer les négociations conclues entre les Nisga'as, le gouvernement de la Colombie-Britannique et le gouvernement du Canada jusqu'à ce qu'ils décident eux-mêmes de se pointer à la table de négociations.

Nous avons appris de M. Molloy et d'autres témoins que les Nisga'as avaient fait de grands efforts pour en venir à une conclusion. Le gouvernement était convaincu que les Nisga'as avaient fait preuve de bonne foi dans les négociations et il a décidé de conclure avec eux l'entente.

Je suis d'avis que cette première étape est importante pour débloquer le processus de négociation de traités dans la province de la Colombie-Britannique. Je crois que cela fait honneur à tous les partis qui ont participé à ces négociations et qui les ont menées à terme.

Le sénateur Andreychuk: Il est injuste de dire que je suis d'avis que le gouvernement ne pouvait pas conclure l'accord nisga'a. Je ne demande pas si le gouvernement fédéral a décidé d'aller de l'avant et de conclure l'accord nisga'a parce qu'il l'a effectivement conclu.

Le rapport de la Commission royale sur les peuples autochtones, et je crois que c'est l'une des bases sur lesquelles le gouvernement s'est fondé, dit que toutes les nations autochtones devraient pouvoir avancer à leur propre rythme. Si les Nisga'as étaient prêts à aller de l'avant et qu'ils agissaient de bonne foi, le gouvernement fédéral avait alors la responsabilité de conclure cet arrangement et ces négociations.

Il faut se demander pourquoi le gouvernement aurait inclus, à titre de politique d'intérêt public, les articles 33, 34 et 35 sans avoir fourni quelque signal, engagement, lettre, déclaration publique ou autre que ce soit aux Gitxsan et aux Gitanyow pour leur dire qu'ils seraient traités de la même façon. Pourquoi le ministre Nault dit-il qu'il croit les Nisga'as, et non les Gitanyow ou les Gitxsan?

Il ne s'agit pas de retarder le débat, mais bien de faire valoir que le gouvernement a pris partie alors qu'il avait d'autres options, moyens et recours légaux.

Le sénateur Austin: Puis-je demander à madame le sénateur à quelles solutions de rechange elle fait allusion?

Le sénateur Andreychuk: Le gouvernement aurait pu mettre sur pied un mécanisme de règlement des différends avant de poursuivre avec les Nisga'as. C'est ce que la politique étrangère du Canada recommande partout dans le monde.

Je peux voir pourquoi les Nisga'as demanderaient une indemnisation si leur revendication était rejetée par les tribunaux. Les Nisga'as seraient alors obligés de consacrer des ressources, du temps et de l'énergie au processus administratif. Le gouvernement aurait dû signaler aux Gitanyow et aux Gitxsan que ceux-ci se retrouveraient dans la même situation et qu'ils se verraient offrir la même indemnité, et ce d'une façon très publique et transparente.

Le sénateur Austin: Tout le processus était public et ouvert. Je ne sais pas et je ne saurai probablement jamais pourquoi le sénateur Andreychuk ne comprend pas les articles 33 à 35. Selon moi, et selon les témoins qui ont comparu devant le comité, ces articles préservent le statu quo pour les Gitanyow et les Gitxsan, sans préjudice à leur égard. Si nous allons plus loin, nous tombons dans la pure interprétation. Le sénateur Andreychuk a droit à son opinion, mais je ne pense pas que celle-ci soit fondée sur les faits.

Le sénateur Andreychuk: Je ne pense pas que les articles 33 à 35 se prêtent à la pure interprétation. Il y a une nette différence entre la justice et l'apparence de justice. Si nous voulons avoir un système juste et équitable, il faut non seulement que justice soit faite, mais aussi que les gens aient l'impression que justice est faite.

Le fait de retirer un négociateur qui travaillait pour les Gitxsan et les Gitanyow et de l'affecter aux Nisga'as, puis d'inclure les articles 33, 34 et 35, n'équivaut peut-être pas à causer un préjudice, mais c'est l'apparence de préjudice qui est dangereuse. En fait, les Gitanyow et les Gitxsan ont eu l'impression d'avoir été lésés. Personnellement, je ne vais pas dire aux autochtones qu'ils avaient tort et qu'ils ont une perception erronée de la façon dont ils peuvent négocier. Je veux plutôt insister sur une meilleure politique gouvernementale qui n'aurait pas placé les Gitanyow dans cette position.

Je ne pense pas mal comprendre les articles 33 et 35. Je m'interroge sur une pratique du gouvernement fédéral qui, je l'espère, ne sera pas répétée. Je suis d'avis que les Gitanyow et les Gitxsan ont été lésés.

Le sénateur Austin: Honorables sénateurs, je serai heureux de voir le sénateur Andreychuk apporter sa contribution au débat.

Le sénateur Lynch-Staunton: Elle vient de le faire.

Le sénateur Andreychuk: Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones a déposé en février son rapport unanime intitulé: «Forger de nouvelles relations: L'autonomie gouvernementale des autochtones au Canada». Les recommandations 1 à 4 rejoignaient beaucoup ce que nous estimons que le gouvernement fédéral devrait faire dans son approche à l'article 35 et aux peuples autochtones. Nous avons déclaré très fermement que les autochtones se définissent eux-mêmes. Ils déterminent leur façon d'accéder à leurs droits inhérents et à l'autonomie gouvernementale. Voici la recommandation 1:

Le comité recommande, compte tenu de l'article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982, que le gouvernement fédéral adopte, dans la négociation de l'autonomie gouvernementale des peuples autochtones, une approche qui soit souple, globale et sensible à la diversité passée et présente des peuples autochtones et de leurs aspirations.

Le sénateur Austin estime-t-il que la conclusion de l'accord nisga'a et l'établissement de nouvelles relations avec les Nisga'as englobent les Gitxsan et les Gitanyow?

Ne sommes-nous pas en train d'aller à l'encontre de nos propres recommandations? Disons-nous, dans les recommandations 2, 3 et 4, que le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien est le mauvais endroit où négocier? Les Nisga'as ont fait ce qu'il convenait, mais l'approche du gouvernement fédéral n'est certes pas conforme aux recommandations 1 à 4 de notre rapport.

Le sénateur Austin: Honorables sénateurs, je ne vois aucune contradiction.

L'honorable John Lynch-Staunton (chef de l'opposition): Honorables sénateurs, si vous le permettez, je vais revenir aux observations du quatrième rapport du comité que le sénateur Andreychuk a mentionnées mais auxquelles le sénateur Austin, à mon avis, n'a pas répondu directement. Je vais lire la dernière phrase parce que je crois qu'elle entre en contradiction avec ce qu'on nous demande de faire. La dernière phrase est très ferme. Voici ce qu'elle dit:

Votre comité demande instamment au gouvernement fédéral et à ses partenaires dans la négociation de tenter par tous les moyens possibles de régler la question des revendications territoriales qui se chevauchent à la satisfaction de toutes les Premières nations concernées avant la conclusion d'autres accords sur les revendications territoriales.

Cette observation est on ne peut plus claire. Plus de 50 Premières nations risquent de participer, à un certain moment, à la négociation d'un traité analogue à celui-ci, qui deviendra manifestement la norme pour la conclusion d'accords à venir. S'il est bon que plus de 50 Premières nations soient assurées que les questions de revendications territoriales qui se chevauchent soient réglées avant la conclusion d'autres accords sur les revendications territoriales, pourquoi ce principe ne peut-il pas s'appliquer dans le cas qui nous occupe?

(1510)

Le sénateur Austin: Honorables sénateurs, il a été appliqué dans ce cas-ci. Après avoir activement tenté de régler les revendications concernant les territoires qui se chevauchent, il s'est avéré impossible pour les Nisga'as, les Gitanyow et les Gitksan de régler ces revendications.

Depuis 1995, le gouvernement du Canada a exposé sa politique quant à la conclusion d'un accord avec une communauté autochtone. Comme l'a dit le ministre Nault dans sa conclusion, le gouvernement du Canada a adhéré à cette politique en ce qui concerne les Nisga'as. Il était convaincue que les Nisga'as avaient négocié de bonne foi, qu'ils avaient établi qu'ils avaient droit à la possession du territoire qu'ils revendiquaient à l'intérieur des limites qu'ils proposaient, et que la province de la Colombie-Britannique était prête à signer l'accord. Dans le dernier cas, après d'actifs efforts remontant à plusieurs années - 1977 dans certains cas et 1991 dans le cas de l'accord de principe sur les négociations signé par le Conseil tribal du Nord-Ouest - le gouvernement du Canada, les Nisga'as et la province de la Colombie-Britannique ont décidé de conclure un accord tout en préservant les droits aux revendications territoriales des Gitksan et des Gitanyow, aux termes des articles 33 à 35. Je crois que c'est un système éminemment équitable. Il satisfait non seulement aux critères exposés dans le rapport au Sénat du comité sénatorial permanent des peuples autochtones, mais aussi aux observations du comité.

Le sénateur Lynch-Staunton: Si j'ai bien compris ce qu'a dit le sénateur Austin, le gouvernement a été partial. Il s'est mis d'accord avec les Nisga'as pour rejeter les revendications des deux autres nations et aller de l'avant avec l'accord. C'est ce que je comprends. Le gouvernement et les Nisga'as ont convenu que le rejet par les Nisga'as de toute revendication territoriale serait valide et ils ont donc décidé de conclure l'accord.

Le sénateur Austin: Honorables sénateurs, je vais essayer d'être le plus clair possible. Le gouvernement, après une longue période de négociations avec toutes les parties, a accepté les revendications des Nisga'as en ce qui concerne les frontières et l'utilisation des terres et s'est employé à conclure un accord avec eux. Je voudrais être on ne peut plus clair, je le répète donc: les droits des Gitanyow et des Gitxsan sont préservés, que se soit à l'issue de négociations ou par règlement du contentieux. Le traité et l'accord seront modifiés pour que s'y trouvent inscrits les droits, obtenus par négociation ou règlement du contentieux, des Gitxsan et des Gitanyow. Il n'y a aucune limitation ou exclusion. Ces droits et le statu quo sont maintenus.

Le sénateur Lynch-Staunton: Comment le gouvernement peut-il concilier cette générosité soudaine avec les mesures autoritaires prises contre les deux nations revendicatrices? Comment pouvez-vous dire, d'une part, que le gouvernement et les Nisga'as conviennent que les revendications sont sans fondement et, d'autre part, dire aux nations revendicatrices de continuer de discuter avec les Nisga'as et, si cela ne marche pas, d'intenter un procès en ne sachant pas combien d'années et d'argent cela prendra. Comment le gouvernement peut-il concilier ces deux déclarations? L'une dit exactement le contraire de l'autre. Pourquoi, comme l'a suggéré le sénateur Andreychuk, ne pas prévoir dans cet accord un arbitrage obligatoire ou une forme de médiation quelconque, voire un mécanisme de règlement des différends, afin qu'un tiers puisse imposer le règlement d'une réclamation?

Je ne prétends pas être spécialiste de ce traité, mais j'ai entendu et lu maints témoignages à l'étape de l'étude en comité. Je suis déconcerté par les propos tenus par quelques-uns des porte-parole des deux autres nations revendicatrices, selon lesquels il se passera bien plus qu'un simple échange de mots quand il s'agira pour elles de se prévaloir de leurs droits. C'est sans doute une menace grandiloquente et sans fondement, mais le fait que ces propos soient officiels devrait suffire à nous faire réfléchir aux conséquences en l'éventualité d'une telle situation.

Le sénateur Austin: Honorables sénateurs, je remercie le sénateur Lynch-Staunton de son commentaire. Je signale cependant que, en vertu de l'accord nisga'a, si des revendications sont réglées dans le cadre d'un procès, mais aussi à l'issue de négociations entre les Gitxsan et les Gitanyow, les Nisga'as seront indemnisés. Ils n'ont pas grand-chose à perdre. Si, à l'issue de négociations avec les Gitxsan et les Gitanyow, ils acceptent d'apporter des ajustements aux modalités du traité, les Nisga'as ne perdront rien qui vaille. Ils seront dédommagés à d'autres égards. On ne devrait pas les accuser de refuser de négocier de bonne foi avec les Gitxsan et les Gitanyow une fois conclu cet accord. Ils ont tout à gagner à vivre en harmonie avec leurs voisins. Ils veulent surtout éviter que leur propre développement politique et socioéconomique soit freiné par des voisins qui ne veulent ni négocier, ce qui est le cas des Gitxsan, ni agir rapidement, ce qui est le cas des Gitanyow.

J'aimerais rappeler à tous les honorables sénateurs que nous sommes dans la vingtième année des négociations et la dixième année depuis que les règles concernant les frontières ont été établies, en 1991. Les Nisga'as ont été très patients. Ils ont pris part à ce processus de négociation pendant très longtemps. J'aimerais dire - et je vais probablement devoir le répéter encore et encore - que la loi ne concerne pas les Gitxsan et les Gitanyow. Je crois que les Nisga'as vont continuer de discuter avec ces communautés tribales, les Gitxsan et les Gitanyow, dans l'espoir de parvenir à un règlement. Ce n'est pas une situation inhabituelle, comme nous l'a fait remarquer le sénateur Christensen. Au Yukon, il a fallu à certains participants deux ou trois ans après que les accords définitifs aient été signés pour régler les revendications frontalières avec d'autres communautés autochtones du Yukon.

Le sénateur Lynch-Staunton: Je ne vais pas prolonger cette discussion, car j'aurai l'occasion de prendre part à ce débat plus tard. Toutefois, je félicite les Nisga'as. Ils gagnent sur les deux tableaux. Si leur position est maintenue, alors elle est maintenue et les revendications sont rejetées. S'ils perdent, ils reçoivent des compensations. Quelle position! Toutefois, si cela s'est produit au Yukon et que cela se produit ici, pourquoi alors maintenir catégoriquement qu'on ne laissera pas cela se reproduire? C'est là toute la question. Manifestement, il faut admettre que ne pas avoir de solution au problème de chevauchement n'est pas acceptable. N'essayez pas de nous convaincre que, parce que les négociations durent depuis 20 ans, nous devrions abandonner. Dans la conclusion du rapport, le comité indique que tout accord futur devrait veiller à ce que tout problème de chevauchement soit d'abord résolu.

Honorables sénateurs, je répète ma première question: Pourquoi ne pas appliquer le principe à cet accord et créer un précédent à observer pour les accords à l'avenir? Je vais au-delà de ce que je sais de ces négociations, mais j'imagine que, au cours de négociations où il y aura des problèmes de chevauchement, quelqu'un puisse brandir l'accord avec les Nisga'as en disant: «Vous avez accepté que les revendications territoriales qui se chevauchent ne soient pas réglées avant la signature de cet accord. Vous avez alors créé un précédent. Faisons-le de nouveau.» Cette observation du comité ne voudra rien dire. En fait, par vos paroles, vous avez prouvé que ce que vous avez dit ne veut rien dire.

Le sénateur Austin: L'honorable sénateur est dans l'erreur. En lisant toute l'observation, il verra que la première partie renvoie à l'établissement du droit à inclure l'accord avec les Nisga'as; tout le reste en découle. Son interprétation est incorrecte.

De toute façon, j'ai hâte d'assister au débat. Nous l'avons entamé, mais je ne voudrais priver aucun sénateur du plaisir de faire valoir des arguments novateurs et de les défendre par la suite. Une grande partie des arguments que j'attendais des honorables sénateurs ont été exprimés au cours de cette période des questions. Je pense que vous ne vous faites pas justice.

Le sénateur Lynch-Staunton: Je me permets simplement de citer les observations du comité, selon lesquelles les parties ont tenté de régler la question en incluant dans l'Accord définitif nisga'a des dispositions visant à préserver et à protéger les droits des peuples autochtones autres que les membres de la nation nisga'a. Votre comité est néanmoins «vivement préoccupé par les implications des revendications territoriales qui se chevauchent et qui ne sont pas réglées, non seulement par rapport à la Première nation nisga'a et aux Premières nations avoisinantes, mais aussi dans le contexte plus général.» Dans cette déclaration, vous indiquez un profond malaise dû au fait que cette question n'est pas réglée. Ma question est la suivante: pourquoi n'avez-vous pas dit dans votre rapport que vous acceptiez fort mal cette situation, qu'il fallait la régler avant de signer le traité? Si vous aviez placé cela devant les Nisga'as et les deux autres nations, je suis convaincu que ceux que privilégie ce traité auraient montré plus d'empressement à régler les revendications. Les choses étant ce qu'elles sont, ils n'ont aucun intérêt à le faire et les deux autres nations sont pénalisées.

(1520)

Le sénateur Andreychuk: Honorables sénateurs, je suis persuadée que le sénateur Austin n'avait pas l'intention de dire que nos arguments, les miens en particulier, étaient novateurs et qu'ils manquaient de sincérité parce que ce n'est pas du tout le cas. Je n'ai absolument aucun doute sur la sincérité et la bonne foi avec lesquelles les Nisga'as ont participé aux négociations. À mon avis, ils l'ont prouvé au cours des témoignages qu'ils ont présentés devant nous et dans les mesures qu'ils ont prises.

Êtes-vous d'avis que le gouvernement fédéral doit négocier de bonne foi avec les peuples autochtones, et est-ce ce qui vous fait appuyer cette mesure législative?

Le sénateur Austin: Tout d'abord, honorables sénateurs, j'ai du mal à croire que j'aurais pu parler de sincérité ou de manque de sincérité, mais le compte rendu officiel en fera foi. Si j'ai pu accuser qui que ce soit de l'autre côté d'avoir manqué de sincérité, je m'en excuse car je n'avais pas du tout l'intention de le faire. J'ai en effet utilisé le mot novateur et je ne crois pas qu'il ait une connotation désobligeante.

Pour ce qui est du reste de la question du sénateur, je ne compte pas y répondre pour l'instant. J'aimerais d'abord entendre tous les arguments de mes collègues d'en face. Puis, je serai heureux de poser des questions à tous ceux qui participeront au débat des deux côtés du Sénat puisque ce sera bientôt à mon tour, je crois, de poser des questions.

L'honorable Anne C. Cools: Honorables sénateurs, quand le sénateur Austin a répondu à la question du sénateur Comeau, il a lu certains passages d'un document. Le sénateur Austin pourrait-il déposer ce document pour que nous puissions tous en avoir une copie?

Son Honneur le Président: Honorables sénateurs, il faut obtenir la permission pour déposer des documents. La permission est-elle accordée?

Des voix: D'accord.

Son Honneur le Président: La permission est accordée.

L'honorable Noël A. Kinsella (chef adjoint de l'opposition): Honorables sénateurs, j'aimerais remercier le sénateur Austin d'avoir accepté de répondre à ma question, à savoir si le comité avait sollicité la «possibilité d'abroger» ce projet de loi.

Lorsque nous avons ajourné jeudi dernier, à la demande du sénateur Austin, certains de nous l'avons avisé des questions que nous aimerions explorer. Comme je l'avais dit jeudi dernier, j'aimerais savoir si le comité a analysé les obligations que le Canada a assumées en vertu de traités internationaux. Par exemple, nous avons des obligations en vertu du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et du Protocole facultatif afférent à ce pacte international

Je mentionne celui-là en particulier à cause de mon expérience auprès des femmes autochtones du Canada lorsqu'elles ont déposé une communication contre le Canada il y a quelques années - l'honorable sénateur Austin s'en souvient sans doute - parce que le comité des droits de l'homme des Nations Unies avait jugé que l'ancien alinéa 12.1b) de la Loi sur les Indiens contrevenait aux obligations en vertu du pacte.

À l'époque, le premier ministre Trudeau avait accepté le jugement des Nations Unies, survenu après celui de la Cour suprême du Canada, qui avait décrété que la discrimination fondée sur le sexe contenue dans la Loi sur les Indiens était acceptable et non contraire à la Déclaration universelles des droits de l'homme.

Le premier ministre Trudeau a ensuite amorcé les travaux de préparation de ce qui deviendrait le projet de loi C-31. Celui-ci a été présenté au Parlement et adopté. Il annulait la disposition incriminée. Ainsi, la question des obligations en vertu de traités internationaux est très importante, et nous devons le comprendre. Votre comité a-t-il cherché à savoir si le Parlement pourra faire quelque chose à l'égard des infractions par rapport aux traités, ou des manquements aux obligations en vertu des traités, découlant de ce qui pourrait se produire sur le territoire nisga'a?

Le sénateur Austin: Honorables sénateurs, le comité n'a pas entendu de témoignages sur le point que le sénateur Kinsella vient de soulever. Cependant, je vais discuter de la question avec les fonctionnaires du ministère des Affaires indiennes pour procurer au sénateur Kinsella la meilleure réponse que je puisse lui donner.

Le sénateur Kinsella: Je remercie le sénateur et, en toute justice pour lui, je vais faire ma propre réflexion. Votre comité n'a pas étudié cette question. Lorsque je participerai au débat à l'étape de la troisième lecture, je l'examinerai. En ce qui concerne la «possibilité d'abroger», il me serait bien utile d'avoir la réponse à cette question avant le débat en troisième lecture.

Une dernière question: la Loi sur les mesures de guerre a été remplacée par la Loi sur les mesures d'urgence, qui est reconnue dans les traités internationaux sur les droits de la personne. Autrement dit, dans les cas où l'existence d'un État est menacée ou dans des situations d'urgence, il devient nécessaire de déroger aux droits et aux pouvoirs des gouvernements de niveau inférieur.

Le comité a-t-il examiné l'application de la Loi sur les mesures d'urgence, notamment aux terres des Nisga'as? Cette loi est à l'étude au Parlement. Le Parlement dispose d'un certain délai pour vérifier l'existence d'une situation d'urgence. C'est pourquoi il existe des mécanismes de contrôle qui n'existaient pas en vertu de la Loi sur les mesures de guerre.

La dérogation aux droits et aux pouvoirs peut-elle s'appliquer en terre nisga'a en vertu de la Loi sur les mesures d'urgence?

Le sénateur Austin: Honorables sénateurs, la question n'a pas été soulevée devant le comité, mais je serai heureux d'examiner la question avec les fonctionnaires du gouvernement, afin de répondre à la question du sénateur Kinsella.

Le sénateur Comeau: Honorables sénateurs, j'ai une question sur la «possibilité d'abroger», et je la pose en raison de certaines inquiétudes en ce qui concerne le rôle du Sénat dans le projet de loi sur la clarté référendaire, dont nous sommes actuellement saisis.

D'après ce que je comprends du traité nisga'a, une modification à ce traité ne peut être apportée qu'avec l'accord des Nisga'as, de l'Assemblée législative de la Colombie-Britannique et du Cabinet fédéral. Pourquoi n'a-t-on pas suivi la même tendance en Colombie-Britannique, où l'assemblée législative devait être consultée au sujet de toute modification? Pourquoi le Parlement fédéral a-t-il été exclu des modifications à l'accord nisga'a? Pourquoi la chose a-t-elle été laissée au Cabinet fédéral plutôt qu'au Parlement?

Le sénateur Austin: Je ne suis pas sûr que la question du sénateur soit posée sur les bonnes bases. Il y a plusieurs façons de modifier l'accord. Bien entendu, le projet de loi C-9 ne pourrait être modifié sans l'accord des trois parties. S'il s'agissait d'une modification de nature législative, il faudrait légiférer. L'Accord définitif nisga'a comporte cependant des dispositions qui permettent d'y apporter des changements sans avoir à légiférer. Ces dispositions prévoient que l'accord des trois parties serait nécessaire.

Je vais examiner la question du sénateur et j'essaierai de lui donner une réponse plus détaillée.

L'honorable Gérald-A. Beaudoin: Au sujet de la question du sénateur Murray sur la division des pouvoirs, il a été question de l'application de la Charte des droits et libertés. Ne pourrait-on faire valoir, dans la réponse, que l'article 31 de la Charte stipule que la Charte n'élargit pas les compétences législatives de quelque organisme ou autorité que ce soit?

(1530)

Par contre, l'article 25 de la Charte prévoit que le fait que la Charte garantit certains droits et libertés ne porte pas atteinte aux droits ou libertés - ancestraux, issus de traités ou autres - des peuples autochtones du Canada.

L'article 35, comme vous le savez, ne fait pas partie de la Charte - il est en dehors de la Charte. Par conséquent, je me demande si le sénateur Austin, dans sa réponse, pourrait parler de l'incidence des articles 25 et 31.

Le sénateur Austin: Merci, sénateur Beaudoin. Je vais m'y efforcer.

L'honorable Jerahmiel S. Grafstein: Honorables sénateurs, j'ai une question complémentaire qui fait suite à la question du sénateur Kinsella. C'est un des problèmes qui m'ont troublé lorsque j'ai relu, après les audiences, les témoignages présentés devant le comité. Je devrais peut-être poser la même question mais d'une autre façon, étant donné que le sénateur Austin a déjà donné avis qu'il allait répondre.

Ma question est la suivante: en situation de crise nationale prévue dans la loi d'urgence, en cas, par exemple, de déclaration de guerre, dans quelle mesure les pouvoirs fédéraux - non seulement les pouvoirs prévus par l'article 92, mais aussi les pouvoirs résiduels - seront-ils limités par les pouvoirs suprêmes qui sont accordés aux Nisga'as conformément à ce traité?

Le sénateur Austin: Je prends cette variation sur la même question en délibéré et je m'efforcerai d'y répondre.

Son Honneur le Président: S'il n'y a pas d'autre question ni observation, nous sommes prêts à procéder au débat de troisième lecture.

Je dois faire une mise en garde au Sénat, et notamment au sénateur Austin, qui a fait plusieurs fois allusion à la clôture du débat. Conformément à l'article 35, on ne peut pas appliquer la clôture au débat de troisième lecture. Bien sûr, le Sénat peut, par consentement, faire comme bon lui semble, mais l'article 35 du Règlement ne prévoit pas la clôture du débat de troisième lecture.

Le sénateur St. Germain: Sauvé par la cloche.

Honorables sénateurs, je me dois tout d'abord de signaler la présence à la tribune des dirigeants et représentants de la nation nisga'a. Il est important de saluer leur présence en raison du travail acharné qu'ils ont accompli pour parvenir à ce stade de leurs négociations, et de l'attention avec laquelle ils ont suivi les délibérations et se sont efforcés de répondre à toutes les questions qui leur ont été posées pendant chacune des études qui ont été réalisées.

Nous sommes arrivés à un moment charnière dans l'histoire de la Colombie-Britannique et dans nos relations avec les peuples autochtones. Les sénateurs de cette province, comme les sénateurs Austin, Perrault et moi-même, savent parfaitement que nous devons faire des progrès dans ce domaine. Les attentes sont extrêmement élevées en Colombie-Britannique, où on espère que le projet de loi à l'étude sera la bonne solution et qu'il réglera définitivement la question.

Je remercie les membres du comité sénatorial des peuples autochtones de l'étude sérieuse qu'ils ont faite de ce projet de loi. Je tiens à remercier également les sénateurs Sparrow, Grafstein, Beaudoin, Joyal, Lawson, Wilson, Comeau et Nolin de l'intérêt et de l'attention qu'ils ont accordés à ce dossier, qui concerne d'abord les habitants de la Colombie-Britannique.

Le sénateur Austin, à titre de président, avait une tâche difficile. Avec le recul, j'estime que le comité aurait dû se déplacer. Nous aurions dû aller recueillir les opinions sur le terrain. Nous avons décidé de ne pas nous déplacer, mais j'estime qu'il aurait été important de le faire. Nous en sommes à l'étape de la troisième lecture, mais je tenais à exprimer cette réserve en passant, vu certains des témoignages que le comité a entendus.

Honorables sénateurs, la négociation de traités est importante pour l'économie de la Colombie-Britannique. Les habitants de la province veulent que les peuples autochtones concluent des accords sur les revendications territoriales et l'autonomie gouvernementale pour qu'on sache à quoi s'en tenir dans la province et que la question soit définitivement réglée. Il faut conclure ces accords. Sur le plan politique, comme je l'ai déjà dit, mon parti approuve l'intention qui sous-tend l'accord.

Cependant, selon mon examen de cet accord et les études qui ont été faites, je constate que trois groupes seulement souscrivent à cet accord dans son libellé actuel. Qu'on me corrige si j'ai tort. La majorité des Nisga'as, ceux qui ont voté, ont accepté l'accord en le ratifiant. Les gouvernements fédéral et provincial tiennent à cet accord. Toutefois, malgré les sondages, j'estime que moins de la moitié des Britanno-Colombiens comprennent vraiment l'accord et le veulent. C'est un grave problème, et cela nous préoccupe tous. Si les Britanno-Colombiens ne le comprennent pas, c'est en partie à cause de la grande complexité de l'accord. En outre, ils doutent de son caractère définitif et décisif.

J'estime qu'il nous incombe non seulement d'adopter des lois, mais encore de faire comprendre nos gestes à la population. Il ne s'agit pas de faire quelque chose aux gens, mais de faire des choses pour les gens.

À ma connaissance, les nations tsimshian et tahltan, des voisins des Nisga'as, ont conclu une entente avec ceux-ci, mais l'Accord définitif nisga'a a légèrement empiété sur leurs terres et leurs droits ancestraux. Il semble qu'ils négocient toujours avec les Nisga'as à cet égard.

Les 2 000 membres des Gitanyow et les 10 000 membres des Gitxsan s'opposent à l'accord. Pourquoi? Comme il a été dit, c'est parce que leurs droits seront gravement touchés. Cela a été mentionné lorsque les sénateurs ont interrogé le sénateur Austin.

Honorables sénateurs, je m'inquiète sérieusement de plusieurs aspects du projet de loi. Il y a l'aspect constitutionnel, les questions de l'obligation de rendre compte, des droits des minorités, des droits de la femme, des pêches, et cetera. Je ne parlerai pas des questions constitutionnelles parce que je ne suis pas aussi qualifié que d'autres sénateurs pour le faire. Cependant, je ferai quelques brèves observations sur le pouvoir délégué.

Je n'ai jamais obtenu de réponse satisfaisante à la question de savoir pourquoi c'est un accord constitutionnel plutôt qu'un accord de délégation de pouvoir. Toutes les autres questions, comme je l'ai demandé au sénateur Austin aujourd'hui, sont-elles menacées? Quel est le problème? Du moins, pourquoi cet accord est-il fait différemment? Allons-nous devoir modifier les autres pour qu'ils soient semblables à la loi des Nisga'as créant un gouvernement autonome? Comme je l'ai fait remarquer dans mes questions sur les Sahtu, les Gwich'in, les Sechelt et les Yukon, certains de ces accords ont été conclus par le gouvernement précédent, et d'autres, par le gouvernement actuel. J'espère que ces accords ne sont pas menacés. Le sénateur a dit qu'ils ne le sont pas. S'ils ne le sont pas, pourquoi n'avons-nous pas continué de la même façon que par le passé?

Honorables sénateurs, je travaille depuis plus de cinq ans sur le règlement des revendications en Colombie-Britannique. Je suis particulièrement préoccupé par la façon dont le gouvernement fédéral a traité les questions de chevauchement des revendications. Je me suis rendu chez les Gitanyow, les Nisga'as et les Gitksan et j'ai passé du temps avec eux. Je n'ai pas seulement lu les journaux ou les transcriptions. Je suis allé chez eux. Je les ai écoutés et je leur ai parlé.

Soyons clairs: l'entente territoriale que les gouvernements ont négociée aujourd'hui porte sur un territoire beaucoup plus important que la revendication initiale des Nisga'as. Je crois que je peux utiliser un livre, même si nous ne sommes pas sensés nous servir d'objets. Pour faire une analogie, la revendication originale des Nisga'as équivalait à la grosseur de mon poing. Il y a débat sur la question, mais on m'a expliqué que la revendication Calder dans les années 70 a été faite sans incidence sur les limites.

(1540)

La résolution de 1913 portait notamment sur la rivière Kinskuch, qui est considérée comme étant l'une des limites. Les limites visées dans le jugement Calder étaient débordées. Les limites finales sur lesquelles on s'était entendu délimitaient une étendue de la grosseur de mes deux poings. Ce qui me préoccupe beaucoup, ce sont les propriétés en fief simple qui ont été données aux Nisga'as dans les secteurs en litige.

Nous plaçons les Gitanyow et les Gitksan dans une situation intenable, honorables sénateurs. J'ai lu l'histoire, les décisions judiciaires et le témoignage et j'ai écouté les habitants de la vallée de la Nass et de la Colombie-Britannique. J'ai lu les pétitions de la fin des années 1800 et des années 1900 en ce qui concerne les territoires et les droits des Premières nations.

Nous savons que la décision Calder a contribué à forcer le gouvernement fédéral à établir en 1973 un processus de négociation des revendications globales qui ne convenait pas à la négociation de l'autonomie gouvernementale. Nous savons que la Constitution rapatriée entre 1980 et 1982 reconnaissait les droits de nos peuples. Nous savons aussi que l'autonomie gouvernementale n'a pas été définie ou spécifiquement incluse dans la Constitution de 1982. Nous savons que pendant les années 80 et le début des années 90 le gouvernement s'occupait de la question de la seule manière possible sans modification de la Constitution, en dépit du fait que l'accord avorté de Charlottetown apportait une solution pour la reconnaissance de l'autonomie gouvernementale des autochtones du Canada.

Nous connaissons aussi les conseils et les instructions émis par la Cour suprême dans les affaires Sparrow en 1990, concernant les Musqueam, et Delgamuukw en 1997, concernant les Gitxsan. Nous connaissons la décision de la Cour suprême de la Colombie-Britannique dans l'affaire Luuxhon en 1999. Je reparlerai de cette affaire tout à l'heure.

Nous savons aussi qu'un processus de négociation des revendications territoriales et des traités a été établi en 1993, en même temps que la Commission des traités de la Colombie-Britannique. Nous devons reconnaître que c'est bel et bien l'affaire Calder qui a servi de locomotive aux négociations modernes. Cette affaire marque véritablement le début de l'ère moderne des négociations sur les revendications territoriales et les droits issus de traités. C'est sur cette toile de fond que se présentent les négociations et les accords.

Honorables sénateurs, si nous fouillons plus loin dans l'histoire, nous constatons que les dernières négociations avec les Nisga'as ont commencé en 1976, dans la foulée de la décision Calder. En fait, nous savons que les Gitanyow ont été les premiers à demander de négocier en 1976, mais le gouvernement ne voulait pas qu'ils soient les premiers. La demande de négociation des Gitanyow a été acceptée en 1977. Ces deux groupes ont donc commencé à négocier en même temps. Nous savons aussi que les Gitxsan ont présenté leur demande en 1979.

Le Canada a signé des accords cadres avec les Nisga'as en 1989 et en 1991. À la fin des années 80, les Gitanyow et les Gitxsan ont commencé les recherches qui visaient à déterminer les limites de leurs territoires traditionnels. Ces travaux préliminaires ont pris fin en 1995.

À la fin du XIXe siècle, il y a eu des déplacements de population dirigés par les missionnaires. Cependant, les Gitanyow n'ont jamais renoncé à leurs huit maisons et n'ont jamais abandonné leurs territoires. Il y a eu des migrations motivées par les économies d'échelle et par l'activité des missionnaires ainsi que, je présume, par des tentatives d'assimilation. Cependant, les Gitanyow n'ont jamais renoncé à leurs droits sur leurs huit maisons, qui étaient organisées en fonction de parcelles de terre.

Les Gitanyow ont dû attendre. Ils ont de nouveau présenté leur revendication territoriale lorsque la Commission des traités de la Colombie-Britannique a entamé ses activités en 1993. Il est important de faire remarquer que les Nisga'as et les Gitanyow discutaient et signaient des accords et des protocoles d'entente tout au long des années 80 et jusqu'en 1992. Au coeur de ces accords figurait la reconnaissance de la part des Nisga'as que leur frontière terrestre avec les Gitanyow commençait à l'embouchure de la rivière Kinskuch, une frontière très importante. Sauf pour deux revendications mineures qui se chevauchaient vraiment, ces deux groupes se sont entendus sur la propriété des terres et sur la délimitation des frontières. Les Gitanyow n'étaient donc pas trop inquiets ni trop agressifs à propos de leur revendication territoriale. Ils étaient satisfaits des frontières qui avaient été établies.

C'est dans le cadre des consultations de 1992 à 1995 préparatoires à l'accord de principe que les Gitanyow ont accéléré leurs efforts, qui ont abouti à la conclusion de leur accord-cadre en 1996 avec la Commission des traités de la Colombie-Britannique, la même année où les Nisga'as ont signé leur accord de principe.

Les Gitanyow ont vite appris que jusqu'à 85 p. 100 de leur territoire traditionnel était revendiqué par les Nisga'as.

Entre 1996 et 1998, les Nisga'as ont tenu leurs consultations postérieures à l'accord de principe, qui ont abouti à la conclusion de l'Accord définitif nisga'a en 1998. Exaspérés par le manque de bonne foi dont les gouvernements continuaient de faire preuve et par leurs négociations visant à établir les frontières terrestres, les Gitxsan ont poursuivi le gouvernement et obtenu gain de cause dans l'affaire Delgamuukw. Comme les gouvernements persistaient à ne pas tenir compte des demandes des Gitanyow pour négocier de bonne foi les problèmes de chevauchement avec les Nisga'as, les Gitanyow ont été forcés encore une fois de recourir aux tribunaux pour en obtenir des directives. Ce fut l'affaire Luuxhon.

Honorables sénateurs, le projet de loi C-9 empiète sur les droits de plusieurs groupes autochtones. Ce sont les Gitanyow et les Gitxsan qui luttent pour leurs droits.

Le gouvernement fédéral a dit à ces groupes qu'il ne renégociera aucune des dispositions de l'Accord définitif nisga'a et qu'il abordera les problèmes de chevauchement après l'adoption de l'Accord définitif nisga'a et dans le cadre des processus énoncés dans cet accord.

Le ministre a admis au comité que le gouvernement avait décidé d'aller de l'avant dans le dossier des Nisga'as et avait accepté leur information sur le territoire traditionnel plutôt que celle des autres groupes. Les tribunaux ont exhorté les peuples autochtones à négocier des ententes entre elles pour régler les problèmes de chevauchement.

Le ministre a choisi les Nisga'as plutôt que les Gitanyow et les Gitxsan. C'est aussi simple que cela. Il l'a dit. Le ministre et le gouvernement ont une obligation fiduciaire envers tous les peuples autochtones. Je ne crois pas que le gouvernement puisse favoriser un peuple plutôt qu'un autre. Cependant, de son propre aveu, il l'a fait.

Les Nisga'as ont fait de l'excellent travail pour ce qui est de négocier au nom de leur peuple. Ils ont demandé un immense territoire, et ils l'ont obtenu. Les gouvernements fédéral et provincial voulaient n'importe quoi qui permettrait d'atteindre ce que certains ont décrit comme étant des «objectifs politiques». C'est ce qui a été dit au comité.

Après 27 ans, le gouvernement peut dire qu'il a réglé les revendications des Nisga'as relativement à leurs droits ancestraux. Toutefois, si le processus se poursuit de la même façon, cela se fera aux dépens de tous les autres groupes autochtones dans la région, principalement les Gitanyow et les Gitxsan.

Les Gitanyow et les Gitxsan n'ont pas de ressources financières pour les aider à défendre leurs droits. J'ai demandé au ministre, au comité, s'il était prêt à les financer. Il n'a pas répondu à la question. Le gouvernement a avancé des fonds pour les négociations avec les Nisga'as sous forme de prêts et de services de conseillers juridiques. Il a cependant dit qu'il ne paierait pas pour que les Gitanyow et les Gitxsan aient accès aux services de conseillers juridiques.

Le gouvernement a dit qu'il avait raison et que tous les autres avaient tort; que si on n'aime pas les résultats, on n'a qu'à aller devant les tribunaux. Le gouvernement, de par ses propres actions, a fourni une toute nouvelle définition de ce qui semble être une légère arrogance.

Honorables sénateurs, les Nisga'as ont travaillé fort pour obtenir une entente, et ils devraient l'avoir. Ils veulent cette entente et ils la méritent.

Comme les sénateurs le savent, le Sénat a pour mandat d'étudier et de réviser les mesures législatives, d'examiner les questions nationales et de représenter les intérêts des régions, des provinces et des minorités. Cela n'a jamais changé. C'est là notre responsabilité en tant que sénateurs. Nous devons faire des lois pour assurer la paix, l'ordre et le bon gouvernement au Canada. Nous ne devons pas être contraints de quelque façon que ce soit à ratifier ce qui n'est pas dans l'intérêt de tous les Canadiens.

Ce projet de loi mérite-t-il de devenir loi? Je crois que le projet de loi C-9 et l'Accord définitif nisga'a présentent des lacunes qui doivent être corrigées. Cependant, les lacunes ne sont pas seulement dans l'entente, mais aussi dans le processus.

Le chef Joe Gosnell a dit que ce n'était pas une entente parfaite. Personne ne recherche la perfection, honorables sénateurs. Toutefois, nous devons examiner le processus.

(1550)

Nous savons tous que le gouvernement fédéral a, à tout le moins, établi une politique concernant les revendications et les accords territoriaux. Mais personne d'entre nous ne peut expliquer pourquoi ce traité et le règlement des différends territoriaux ont été négociés à l'écart de la Commission des traités de la Colombie-Britannique. On a peut-être répondu à la question.

J'ai voulu parler d'amendements au comité, mais le président a dit aux sénateurs que les amendements ne seraient pas acceptés et qu'il fallait plutôt les présenter au Sénat, à l'étape de la troisième lecture.

Il a plutôt été proposé qu'un avis soit soumis au gouvernement en ce qui concerne les traités à venir lorsque des droits issus des traités s'opposent, auquel cas on procèderait par médiation et par arbitrage. L'observation à laquelle ont fait allusion les sénateurs Andreychuk et Lynch-Staunton et qui a été signalée à la Chambre à l'étape du rapport confirme - et je suis d'accord avec le sénateur Lynch-Staunton, le sénateur Andreychuk et tous les autres qui se sont enquis auprès du sénateur Austin à ce sujet - que ce que je dis aujourd'hui est vrai et que cela devrait être réglé avant la ratification et la sanction royale. Cette observation, dans la mesure où d'autres voudront la rattacher à ceci et à cela, est la confirmation que la Commission des traités de la Colombie-Britannique a produit un document disant, dans un premier temps, qu'aucun traité ne devrait être conclu ou entré en vigueur, avant de changer d'idée et d'affirmer clairement que tous les recoupements territoriaux devaient être réglés avant la conclusion d'ententes ou de traités.

Honorables sénateurs, je vais communiquer à la Chambre une déclaration faite par un honorable parlementaire relativement à un autre accord dont la Chambre des communes était saisie. Le 25 mai 1993, le ministre Robert Nault a fait la déclaration suivante, telle que rapportée dans le hansard, à la page 19537:

Et si c'est le cas, comme les députés de notre parti essaient de le faire comprendre à leurs électeurs et à tous les Canadiens, alors nous, en tant que députés de la Chambre des communes, en tant que parlementaires représentant les Canadiens, ne devrions pas nous empresser de terminer l'étude de cet accord à la Chambre.

Il est difficile de comprendre pourquoi M. Nault a perdu aujourd'hui la passion qui le poussait à protéger la population en 1993.

Il est important que les Premières nations du Canada ait une assise territoriale non grevée. L'Accord définitif nisga'a ligue des autochtones contre des autochtones. Ceux qui appuient cet accord ont essayé de faire croire que ce différend ne posait aucun problème. Je suis convaincu que les honorables sénateurs comprendront qu'un peuple dont la survie et l'existence dépendent de sa capacité d'exploiter les ressources naturelles a besoin d'un territoire qui lui appartienne en propre. Toutefois, il ne peut s'agir de n'importe quel territoire. Ce peuple doit connaître le territoire, il doit avoir vécu sur celui-ci durant des siècles, et il doit pouvoir dire sans aucune contestation possible que ce territoire est le sien. Voilà pourquoi les gouvernements du Canada et de la Colombie-Britannique ont eu tellement tort de négocier avec les Nisga'as une entente qui inclut des terres revendiquées par les Premières nations Gitanyow et Gitxsan.

Lorsque nous avons soulevé le caractère inéquitable de la situation au ministre en comité, celui-ci a répondu qu'en bout de ligne, le règlement des revendications territoriales contestées reposait sur les articles 33, 34 et 35, auxquels le sénateur Austin a fait allusion. S'il est établi que les terres incluses dans le territoire nisga'a sont des terres traditionnelles des Gitxsan et Gitanyow, les Nisga'as devront être indemnisés équitablement pour la perte de terres sur lesquelles ils n'ont jamais eu de droits.

Cela dit, je comprends tout à fait, comme l'ont expliqué les avocats des Nisga'as aux membres du comité, que s'il s'avérait que les Nisga'as n'avaient pas de droits relativement à ces terres, ceux-ci ne seraient pas indemnisés. Si les Nisga'as ont des droits sur ces terres et que d'autres groupes ont aussi des droits sur ces terres, je pense que les Nisga'as peuvent être indemnisés. C'est là une interprétation directe de l'indemnité prévue aux articles 33, 34 et 35.

Qu'en est-il des Gitxsan et des Gitanyow? Ceux-ci se verraient remettre ce qui leur appartenait, mais seraient-ils indemnisés pour les tracas et les dépenses engagées afin de revendiquer leurs terres? La réponse simple est non. Comment vont-ils faire pour revendiquer ces terres? Ils devront s'en remettre aux tribunaux. Ils n'ont pas d'autre recours, à moins qu'il n'existe une solution dont nous ne sommes pas au courant.

La façon dont le gouvernement du Canada s'y est pris pour traiter de la question du chevauchement des terres fait déjà l'objet d'avis juridiques. En 1998, la première nation Gitanyow a intenté des poursuites contre les gouvernements du Canada et de la Colombie-Britannique, et aussi contre les Nisga'as. Les Gitanyow ont demandé une déclaration de la cour portant que les gouvernements en cause devaient leur donner l'assurance que les négociations seraient menées de bonne foi. Les Gitanyow ont fait valoir qu'étant donné que les gouvernements avaient conclu un accord de principe avec les Nisga'as - maintenant devenu l'Accord définitif nisga'a dont nous sommes saisis - les gouvernements avaient porté atteinte à leur capacité de négocier de bonne foi avec les Gitanyow. Les gouvernements ont abandonné les négociations avec les Gitanyow et les Gitxsan, négociations qui s'étaient déroulées en même temps que celles avec les Nisga'as. Comme le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien nous l'a dit, lui et son gouvernement ont pris parti dans le conflit territorial, et ils ont ensuite conclu un accord avec les Nisga'as.

L'argument avancé dans ce procès est que s'il a le devoir de négocier de bonne foi avec les Gitskan et les Gitanyow, le gouvernement ne pouvait pas prendre parti dans cette revendication territoriale. Les Gitanyow prétendent que l'accord nisga'a enfreint leur droit ancestral aux terres situées dans la vallée de la Nass.

Au début du procès, les gouvernements du Canada et de la Colombie-Britannique ont déposé une requête préliminaire afin de rejeter la demande introductive d'instance des Gitanyow qui, à leurs yeux, était sans fondement. La Cour a confirmé que la demande introductive d'instance des Gitanyow était valide en ce sens qu'elle avait trait à l'action des deux gouvernements, qui rendait impossible des négociations de bonne foi, étant donné qu'ils avaient déjà conclu un accord avec les Nisga'as. Le juge a confirmé que l'on pouvait soutenir qu'il était du devoir des gouvernements de négocier les traités en toute bonne foi et d'une manière qui tienne compte de toutes les nations autochtones qui revendiquent des terres dans une région donnée.

À mon avis, ce n'est pas ce qui a été fait dans le cas des Nisga'as, des Gitanyow et des Gitskan. Dans ces cas, le cas Luuxhon, et le fameux cas Delgamuukw, le juge a précisé que les tribunaux préféreraient que toutes les revendications territoriales en cours soient réglées entre les parties en l'absence de procès. Quand cette affaire est passée devant les tribunaux, le juge Williamson, de la Cour suprême de la Colombie-Britannique, a dû déterminer si les gouvernements avaient le devoir de négocier de bonne foi un traité avec les Gitanyow.

Comme l'a expliqué le juge Williamson dans sa décision, la position du Canada est difficile à croire. Il a dit:

S'il y a obligation morale...

... ainsi que prétend le Canada...

... il n'y a pas obligation légale de négocier de bonne foi.

C'est la position du gouvernement du Canada en ce qui concerne la négociation de revendications territoriales avec les voisins autochtones des Nisga'as. Quand le gouvernement prend parti, il n'a aucune pitié. Heureusement, le juge Williamson n'a pas avalé l'argument du gouvernement. Il déclare au paragraphe 53 de son jugement:

Je conclus que le devoir de négocier de bonne foi, fondé sur le rapport fiduciaire entre la Couronne et les peuples autochtones, s'applique également à la Couronne aux droits du Canada et à la Couronne aux droits de la Colombie-Britannique.

Au paragraphe 74, il définit le devoir de cette façon:

En termes généraux, ce devoir doit inclure au moins l'absence de tout semblant d'ententes déloyales, la divulgation de facteurs pertinents et la négociation en l'absence de tout motif caché.

Les sénateurs devraient savoir que la Couronne en appelle de cette décision, hélas.

Il est lamentable qu'un peuple autochtone doive faire appel aux tribunaux pour obtenir que soit définie l'obligation faite au gouvernement fédéral de négocier les revendications territoriales. Voilà pourquoi je demeure convaincu que toutes les revendications territoriales en suspens doivent être réglées avant que ne soit acceptée une proposition de règlement.

Le sénateur Austin: Le sénateur parle-t-il de l'ensemble du territoire de la Colombie-Britannique?

Le sénateur St. Germain: Bien sûr, toutes les revendications territoriales non réglées à ce jour, en ce qui concerne les chevauchements des territoires revendiqués.

Le sénateur Austin: Une précision. Le sénateur parle-t-il des revendications intéressant les Nisga'as, ou toute la Colombie-Britannique?

Le sénateur St. Germain: Je maintiens que toutes les revendications territoriales en suspens doivent être résolues avant qu'un règlement ne puisse être conclu sous l'égide de la Commission des traités de la Colombie-Britannique. Les Nisga'as ne sont pas motivés à rouvrir ce dossier. Les gouvernements fédéral et provincial estiment qu'ils ne sont pas tenus de négocier bonne foi. Il ne reste aux Gitxsan et aux Gitanyow que le recours aux tribunaux.

Pourquoi les y forcer alors que la solution est toute simple? Nous pourrions attendre qu'ils règlent les choses entre eux. Reportons un peu le projet de loi C-9. Cela amènera vite les parties en cause à s'entendre sur cette question.

(1600)

Il ne saurait être question de continuer à traiter de la sorte les autochtones du Canada. Nous devons leur garantir un traitement équitable. Comme le gouvernement s'y refuse, il incombe au Sénat d'y veiller. Si nous nous montrons prudents, nous devrions pouvoir obtenir une décision anticipée avant de prendre toute initiative, trouver une solution aux chevauchements des territoires revendiqués, et ensuite décider du texte de loi à mettre en oeuvre. Certains retards peuvent survenir. Cependant, notre mandat nous oblige à faire preuve de diligence raisonnable.

Honorables sénateurs, nous en avons le devoir à l'égard de cette noble institution et du Parlement, des Canadiens et certainement des personnes que nos décisions concerneront au premier chef - les habitants de la Colombie-Britannique et de la vallée de la Nass. Si nous négligeons d'agir avec prudence, le règlement des revendications autochtones ne se fera pas avant au moins aussi longtemps qu'il nous en aura fallu pour en arriver à ce stade. Je ne pense pas que ce soit la solution idéale. Je prévois qu'on réglera peu de revendications tant que l'accord nisga'a sera devant les tribunaux.

Ce projet de loi, l'accord et le traité n'apportent aucune certitude, irrévocabilité, clarté ou responsabilité dans leur intégralité. Ce n'est pas un accord dont nous pouvons nous servir comme guide ou modèle pour parvenir à des négociations durables et de bonne foi dont tous les Canadiens pourront être fiers. Le processus présenté dans cet accord doit être amélioré. La mesure législative doit permettre de futures améliorations lorsque des circonstances importantes le justifieront.

Honorables sénateurs, faisons ce qu'il faut faire. Faisons en sorte que les parties se retrouvent à la table des négociations. Elles ont la capacité de déterminer la solution équitable. C'est alors et seulement alors que nous pourrons être satisfaits d'honorer les droits issus de traités dans la loi.

Ceci, honorables sénateurs, est une question extrêmement importante et elle aura un impact extrêmement négatif sur tous les groupes dont les territoires se chevauchent. Les Gitanyow et les Gitxsan se sont mis d'accord sur un règlement tranché si on leur en laisse la chance. J'aimerais répéter cela: les Gitanyow et les Gitxsan se sont mis d'accord sur un règlement conclu par voie d'arbitrage si on leur en laisse la chance. Il se peut que cela ne règle pas les aspects constitutionnels ou autres, mais ma principale préoccupation, personnellement, est le chevauchement. Si nous suivions cette voie, cela permettrait sans aucun doute de négocier les droits des autochtones. N'oubliez pas que c'est l'un de nos juges en chef qui a dit que nous étions tous là pour rester.

Motion d'amendement

L'honorable Gerry St. Germain: Honorables sénateurs, par souci de prudence et de satisfaction, afin d'avoir une certitude et une irrévocabilité et afin d'offrir au gouvernement la possibilité d'envisager de demander un avis à la Cour suprême du Canada sur la constitutionnalité des questions de juridiction, y compris de suprématie ou quoi que ce soit que renferme l'Accord définitif nisga'a, mais principalement en raison du chevauchement, je propose, appuyé par le sénateur Andreychuk:

Que le projet de loi C-9, Loi portant mise en vigueur de l'Accord définitif nisga'a, ne soit pas lu maintenant une troisième fois, mais qu'il soit lu une troisième fois dans six mois à compter d'aujourd'hui.

Des voix: Bravo!

Son Honneur le Président: Plaît-il aux honorables sénateurs d'adopter la motion?

Des voix: D'accord.

Des voix: Non.

Son Honneur le Président: Que tous ceux qui sont en faveur de la motion veuillent bien dire oui.

L'honorable Jerahmiel S. Grafstein: Honorables sénateurs, je pensais que nous pourrions nous arrêter un instant sur cette tournures des événements intéressante.

J'ai écouté attentivement l'exposé du sénateur St. Germain. Je le trouve un peu complexe et confus en ce sens que, d'une part, il semble attaquer la question de l'autonomie gouvernementale et, d'autre part, il laisse de côté les revendications territoriales. Ensuite, il s'en prend aux revendications territoriales en disant que les chevauchements de territoire font qu'il est impossible de régler cette question. Je suis frappé de voir que cela nous place dans une situation de stase pire que ce qu'il reprochait au gouvernement.

Je veux me pencher sur la solution préconisée par l'honorable sénateur, qui consiste pour nous tous dans cette enceinte à ne pas assumer nos responsabilités et à ne pas nous prononcer sur cette question tant que les tribunaux - même si la plupart d'entre nous ici croyons que le Parlement est l'institution suprême - n'auront pas mis de l'ordre dans toute cette situation confuse que nous avons créée. Est-ce la position de l'honorable sénateur?

Le sénateur St. Germain: Absolument pas. Je remercie le sénateur Grafstein de sa question. En fait, les tribunaux devraient être le dernier recours. Ce que j'ai dit, c'est que les Gitxsan et les Gitanyow ont dit qu'ils accepteraient l'arbitrage obligatoire si on leur permettait de présenter leur cas, leur histoire, relativement à leurs revendications territoriales. C'est la voie que je recommande de suivre. C'est pourquoi je demande de reporter de six mois l'adoption de ce projet de loi pour que ces gens puissent avoir recours à l'arbitrage sur les questions de chevauchement, en ce qui concerne les terres visées par l'accord nisga'a.

Honorables sénateurs, je me suis peut-être mal exprimé dans mon discours, mais il n'a jamais été question de procès. L'un des aspects les plus regrettables de tout ce processus, c'est que nous forçons ces gens à s'en remettre aux tribunaux si nous permettons que cet accord aille de l'avant immédiatement. C'est pourquoi je tiens à dire que la seule solution à ce stade-ci est le recours à un arbitre, chose que les deux parties au conflit ont dit être prêtes à accepter.

Le sénateur Grafstein: Honorables sénateurs, ma confusion s'accroît, mais ce n'est peut-être pas la faute de mon vis-à-vis; il se peut que cela soit attribuable à ma capacité limitée de comprendre ce qu'il dit.

Dans les témoignages, je n'ai entendu ni les Gitxsan ni les Gitanyow dire qu'ils étaient disposés à accepter l'arbitrage obligatoire des revendications territoriales qui se chevauchent. En fait, ce que j'ai entendu, c'est qu'ils ne s'opposaient ni à ce traité ni à ce projet de loi. Cela m'a étonné, car le sénateur connaît mes préoccupations à l'égard de ce projet de loi. La position du sénateur me laisse perplexe.

Le sénateur St. Germain: Honorables sénateurs, la question me laisse encore plus perplexe. Il n'en demeure pas moins que je respecte la position du sénateur Grafstein, et j'estime qu'il a présenté des arguments excellents pendant les délibérations. Il ne s'agit pas de présenter des positions contraires, mais bien de clarifier les choses. Comme je l'ai dit, si le sénateur a mal compris mes propos, je répète que je ne proposerais le recours aux tribunaux pour rien au monde. Je n'y ai jamais recouru pendant ma carrière en affaires, et c'est la dernière chose que je proposerais à quiconque.

Je dis au sénateur que, sauf erreur, on a posé une question aux Gitxsan en comité, au sujet de l'arbitrage. M. Elmer Derrick, qui représentait les Gitxsan, a dit clairement qu'il était disposé à accepter la décision d'un arbitre. Que le sénateur ait raison ou non, je me suis entretenu avec les représentants des Gitanyow et leur ai demandé catégoriquement s'ils accepteraient l'arbitrage. Ils ont répondu oui. Toutefois, honorables sénateurs, je ne suis pas sûr si cette question a été posée en comité ou ailleurs.

L'honorable Jack Austin: Comme le sénateur St. Germain s'en souviendra sûrement, le ministre Nault a dit très clairement qu'il n'envisagerait pas une recommandation au gouverneur en conseil, au sujet d'un renvoi à la Cour suprême du Canada. Comme l'honorable sénateur était présent lorsque les représentants du Conseil tribal des Nisga'as ont témoigné, il se souviendra qu'ils veulent s'en tenir à l'accord dans sa forme actuelle et qu'ils n'ont absolument pas l'intention de soumettre les revendications à l'arbitrage. J'ai le même souvenir que le sénateur Grafstein. Je n'ai pas entendu les Gitanyow ni les Gitxsan faire une offre inconditionnelle d'arbitrage, bien que cela n'aurait rien changé aux points que je viens de faire valoir. Le sénateur St. Germain leur a demandé s'ils seraient prêts à se soumettre à l'arbitrage. Ils ont dit qu'ils seraient prêts à le faire. Le sénateur St. Germain n'a toutefois pas choisi d'arbitre, il n'y a aucun processus d'arbitrage, et aucune question n'est soulevée. Le sénateur veut seulement retarder l'entrée en vigueur de cet accord.

(1610)

Que fera le sénateur St. Germain de la décision du juge Williamson, de la Cour suprême de la Colombie-Britannique, qui a dit que, tant que le projet de loi ne sera pas adopté, il ne se penchera pas sur l'affaire dont l'a saisi le Parti libéral de la Colombie-Britannique afin qu'il se prononce sur la constitutionnalité du projet de loi? Autrement dit, de l'avis du juge, il ne s'agirait que de questions hypothétiques soulevées au sujet du projet de loi. Le juge veut se prononcer sur une loi en bonne et due forme.

L'honorable sénateur propose un amendement visant dans les faits à démolir le projet de loi, à détruire le processus de négociation des traités dans la province de Colombie-Britannique, à donner des moyens à ceux qui n'ont absolument pas l'intention que les droits autochtones prévus à l'article 35 dans le domaine de l'autonomie gouvernementale se concrétisent un jour et qui ne veulent pas de la protection constitutionnelle que confère l'article 35 et souhaitent plutôt un pouvoir délégué, qui peut être accru, diminué ou retiré n'importe quand. Cela va carrément à l'encontre de l'esprit de la mesure législative et des besoins en matière de politique gouvernementale dans le secteur des affaires autochtones de la province de Colombie-Britannique.

Le sénateur St. Germain: Honorables sénateurs, la loi sur l'arbitrage de la province de Colombie-Britannique donnerait toute l'orientation voulue.

Pendant les discussions en comité, on a demandé qui serait l'arbitre. Les témoins ont présumé que ce serait un autre Blanc. J'ai dit: «Non, cela ne doit pas nécessairement être un Blanc. On pourrait nommer un autochtone à la présidence du conseil d'arbitrage et d'autres autochtones pourraient faire partie du conseil.» Les commentaires de l'honorable sénateur à ce sujet constituent à mon avis un faux-fuyant.

La certitude s'impose. Je rappelle ce que j'ai dit auparavant, c'est-à-dire que les accords avec les Sechelt et les Sahtu et les autres accords sont en grand péril. S'ils ont la certitude voulue, je ne crois pas qu'ils soient différents des Nisga'as ou de toute autre bande ou de tout autre groupe autochtone au pays. Les autochtones sont des autochtones. Si un groupe bénéficie d'un certain type de pouvoir prévu dans la Constitution, tous les autres groupes devraient en bénéficier. Si certains bénéficient d'un pouvoir délégué, pourquoi y a-t-il une différence? C'est la question que nous posons continuellement. Il ne semble pas que nous obtiendrons un jour la réponse.

En ce qui concerne les libéraux de la Colombie-Britannique, l'honorable sénateur y compte de nombreux amis, tout comme moi, qui en ai peut-être même plus. Pour ma part, je demande ce report parce qu'il se peut que le gouvernement fasse un renvoi à la Cour suprême. Quoi qu'il arrive, je demande ce délai afin de forcer les autochtones à revenir à la table pour négocier ce recoupement.

Comme je l'ai dit auparavant, honorables sénateurs, approfondissons à fond ce sujet. Nous discutons d'un immense territoire. Dans le cadre des négociations, les Nisga'as se sont vu accorder des droits au territoire Gitanyow, à cinq terres en fief simple de quelques centaines d'hectares chacune, ainsi qu'à une île du lac Kwinageese, qui faisait partie du territoire Gitxsan et de la zone désignée de Delgamuukw dans le secteur Gitxsan. L'honorable sénateur dit que la négociation s'est déroulée de bonne foi et que nous aurions pu la modifier lorsque la terre en fief simple faisant l'objet du différend a été donnée. C'est là le sujet que je voudrais voir en avant-plan.

J'ai toujours dit la même chose au sujet de la question du chevauchement. La pire chose que nous pourrions faire serait de dresser les autochtones les uns contre les autres et de leur dire que le seul moyen pour eux de défendre leur droit de propriété est de le faire sur le terrain. Les honorables sénateurs savent ce que cela signifierait.

J'ai dit à l'honorable sénateur, en comité, que la lutte pour les terres risquait d'engendrer un conflit comme celui qui oppose Israéliens et Palestiniens. Il s'agit d'un exemple extrême, mais qui pourrait néanmoins devenir réalité. Des problèmes se sont déjà produits là-bas.

Le sénateur Austin: Honorables sénateurs, je ne doute pas de la sincérité de l'honorable sénateur. Il a activement défendu les intérêts des Gitxsan et des Gitanyow tout au long des témoignages. Il s'est intéressé de près à leurs préoccupations.

Les Gitxsan et les Gitanyow ont eu des années pour s'entendre avec les Nisga'as. La négociation avec les Gitanyow demeure une possibilité, comme les Gitanyow eux-mêmes et le ministre l'ont reconnu durant les témoignages.

Les Nisga'as n'ont aucunement l'intention de soumettre les revendications chevauchantes à l'arbitrage. Ils ont l'intention de poursuivre les négociations une fois que le projet de loi aura été adopté.

L'amendement proposé par l'honorable sénateur n'aurait aucune utilité. Je ne conseillerais jamais aux Nisga'as d'y souscrire. L'entente a été négociée de bonne foi entre le gouvernement de la Colombie-Britannique, le gouvernement du Canada et les Nisga'as. Si l'accord doit être modifié par la négociation, ce doit être avec la participation volontaire des Nisga'as; sinon, il le sera dans le cadre d'un procès, une possibilité que l'honorable sénateur déplore et que je ne souhaite pas non plus.

Je crois que cet amendement réduirait à néant l'objectif même que le sénateur poursuit. Les Nisga'as ne se laisseront pas contraindre à l'arbitrage et les gouvernements du Canada et de la Colombie-Britannique ne les y contraindront pas. Les Nisga'as poursuivront de leur plein gré les négociations avec les Gitxsan et les Gitanyow s'ils ne subissent pas de pressions indues.

Je le répète, je crois que l'amendement proposé par l'honorable sénateur nuirait aux relations entre autochtones en Colombie-Britannique.

Des voix: Bravo!

Le sénateur St. Germain: Je suis très étonné.

Son Honneur le Président: Honorable sénateur St. Germain, je vous signale qu'il ne reste qu'une minute sur les 45 minutes dont vous disposiez.

Le sénateur St. Germain: Honorables sénateurs, je sais que les Nisga'as ne renonceront pas à ce qu'ils auront une fois que cette entente définitive aura été adoptée. Dans tout conflit comme celui-là, lorsqu'une partie est mise dans une situation préférentielle, que ce soit par un gouvernement ou par qui que ce soit d'autre, pourquoi négocierait-elle? C'est insensé. S'ils n'ont pas négocié avant, pourquoi le feraient-ils plus tard? C'est ce que nous disons.

Le sénateur dit que les Nisga'as n'iront pas en arbitrage. Je ne les blâme pas. Ils pourraient perdre en arbitrage à cause de l'histoire orale et des totems.

Si les Gitanyow sont prêts à se soumettre à la décision d'un arbitre, je ne vois rien de plus juste. Cela éliminerait toute possibilité de litige. Le sénateur Grafstein ne me comprend pas et je ne comprends pas le sénateur Austin sur ce point. Nous devrions peut-être nous asseoir autour d'une table et essayer de comprendre. Cela n'a tout simplement pas de sens.

Son Honneur le Président: Honorable sénateur St. Germain, votre temps de parole est expiré. Demandez-vous la permission de continuer?

Le sénateur St. Germain: Honorables sénateurs, je demande la permission de continuer.

Son Honneur le Président: Honorables sénateurs, la permission est-elle accordée?

L'honorable Dan Hays (leader adjoint du gouvernement): Je propose que nous lui donnions encore 15 minutes.

Son Honneur le Président: Êtes-vous d'accord, honorables sénateurs, pour que nous lui donnions encore 15 minutes?

Des voix: D'accord.

Le sénateur St. Germain: Je remercie les sénateurs de leur indulgence.

Le sénateur Austin: Puis-je simplement dire que les Nisga'as n'iront pas en arbitrage, et ils ne devraient pas le faire non plus. L'amendement ne vaut rien. Il n'aura aucun effet bénéfique. Je propose que le sénateur St. Germain retire son amendement.

Le sénateur St. Germain: Honorables sénateurs, je ne retirerai pas mon amendement.

Lorsque nous avons demandé au ministre s'il accorderait une aide financière à ces gens pour qu'ils défendent leur revendication territoriale, il n'a pas répondu. Par conséquent, je demande au sénateur si le ministre les aidera financièrement. Il dit qu'il ne représente pas le gouvernement, mais il parle en son nom. Le sénateur dit que les parties devraient aller devant les tribunaux. Comment peuvent-elles le faire si elles n'ont pas d'argent?

(1620)

Le sénateur Austin: Je parraine ce projet de loi, mais je ne parle pas au nom du gouvernement. Je n'ai aucune idée de ce qu'il compte faire en ce qui touche le financement des contestations judiciaires des groupes autochtones.

Le sénateur Hays: Honorables sénateurs, bien que nous en soyons rendus à la fin de la période des questions et observations, il est évident qu'il y a d'autres sénateurs qui aimeraient se faire entendre en rapport avec cet amendement. Si je comprends bien, le sénateur Austin veut proposer l'ajournement du débat. Le sénateur Beaudoin pourrait vouloir se prononcer lui aussi.

L'honorable Gérald-A. Beaudoin: Honorables sénateurs, je voulais proposer l'ajournement du débat.

Le sénateur Hays: Pourquoi ne pas respecter la pratique de l'alternance? S'il n'y a personne qui désire prendre la parole en premier pour donner une réponse, nous serions alors d'accord pour passer ensuite à vous, sénateur Beaudoin.

(Sur la motion du sénateur Austin, le débat est ajourné.)

Projet de loi donnant effet à l'exigence de clarté formulée par la Cour suprême du Canada dans son avis sur le Renvoi sur la sécession du Québec

Deuxième lecture-Suite du débat

L'ordre du jour appelle:

Reprise du débat sur la motion de l'honorable sénateur Boudreau, c.p., appuyée par l'honorable sénateur Hays, tendant à la deuxième lecture du projet de loi C-20, Loi donnant effet à l'exigence de clarté formulée par la Cour suprême du Canada dans son avis sur le Renvoi sur la sécession du Québec.

L'honorable Noël A. Kinsella (chef adjoint de l'opposition): Honorables sénateurs, il n'est pas arrivé souvent au cours des 133 années de l'histoire du Sénat du Canada que les honorables sénateurs aient à se prononcer sur une mesure législative plus dangereuse que le projet de loi C-20. Dans le cas présent, le danger se trouve à deux niveaux. Tout d'abord, cela touche à la question de la sécession d'une province. Deuxièmement, les honorables sénateurs sont appelés à donner leur consentement à la Chambre sur une réduction historique de l'importance de cette Chambre haute du Parlement bicaméral que nous connaissons au pays.

Honorables sénateurs, le premier point se trouve énoncé dans le libellé du deuxième paragraphe du préambule du projet de loi dont nous sommes saisis:

Attendu que toute proposition relative au démembrement d'un État démocratique constitue une question extrêmement grave et est d'une importance fondamentale pour l'ensemble des citoyens de celui-ci.

Honorables sénateurs, étant donné que ce libellé parle du démembrement du Canada, il est sûrement évident, si tant est que quoi que ce soit puisse l'être, que le Sénat du Canada est invité à analyser en profondeur une mesure législative qui porte sur une question d'une extrême gravité.

Honorables sénateurs, le compte rendu de notre étude et de notre second examen objectif sera un témoignage de la valeur du Sénat dans notre système parlementaire bicaméral. Oui, le hansard renfermera l'analyse sérieuse, pénétrante et en profondeur que la seconde Chambre du Parlement aura su consacrer à une mesure qui a trait à la survie du Canada en tant que pays uni.

Quant au second point, notre débat marquera un moment décisif ou un point tournant dans l'histoire du Sénat du Canada, car ce projet de loi tente de redéfinir et de limiter le rôle que joue ici le Sénat à l'aube du XXIe siècle.

On a déjà fait valoir un argument concernant une théorie de gouvernement responsable qui, s'il n'est pas contesté, pourrait changer fondamentalement la façon dont le Parlement bicaméral du Canada peut exiger des comptes du gouvernement ou du pouvoir exécutif. Je suis persuadé que tous les honorables sénateurs sauront intervenir dans ce débat sans précédent pour relever ce défi et se montrer à la hauteur de cet événement historique.

Je vais maintenant revenir au premier sujet, honorables sénateurs, soit la clarté. La clarté, c'est clair, est populaire. Il semblerait que le projet de loi C-20 lui-même est très populaire partout au Canada. Honorables sénateurs, je le demande, est-ce juste? À première vue, et si le projet de loi se présente comme une prétendue «loi sur la clarté», il est effectivement très intéressant. Tout le monde est en faveur de la clarté. Être contre la clarté sur quelque sujet que ce soit, ce serait être vraiment anti-intellectuel et tout à fait déraisonnable. Cependant, l'analyse que je fais du projet de loi fait naître beaucoup d'inquiétudes et révèle un manque de clarté. Mon étude révèle également qu'il y a vraiment de quoi s'inquiéter au moment où le Parlement examine s'il faut établir un processus juridique et un droit légal à la sécession, car si nous le faisons, ce sera pour la première fois dans l'histoire du Canada, longue de 133 ans.

Honorables sénateurs, est-ce que le projet de loi C-20 clarifie la situation? Le gouvernement a réussi à convaincre de nombreux Canadiens que le projet de loi C-20 clarifie le processus à observer si jamais une province ne voulait plus faire partie du Canada. Malheureusement, ce projet de loi confère un faux sentiment de sécurité, il incite à croire que tout ira bien, qu'il n'y aura pas de problème. Le projet de loi est un chef-d'oeuvre d'ambiguïté politique et il est très difficile de déterminer si le gouvernement du Canada sait exactement quel objectif il vise au moyen de ce projet de loi.

De plus, honorables sénateurs, tout cela me rappelle un passage de Shoeless Joe, de W.P. Kinsella, selon lequel: «Si l'on bâtit quelque chose, quelqu'un viendra l'utiliser.» On se rappelle aussi le mécanisme de la prophétie qui se réalise d'elle-même, décrit par les spécialistes en sciences sociales. Je crains donc sérieusement que, pour la première fois de notre histoire, le Parlement ne soit en train de monter la scène où pourrait se jouer l'éclatement du Canada.

Peu de fédérations reconnaissent le droit d'un État membre ou d'une province de s'en aller et il y en a encore moins qui établissent le processus à observer dans ce cas. En fixant les conditions d'une sécession, peu importe leur sévérité, le gouvernement redore peut-être momentanément son image dans certaines parties du Canada. Mais, en même temps, avec ce projet de loi, il mine les vraies structures qui unissent notre pays.

Dans son article portant sur la clarté et la confusion, paru dans le numéro de février 2000 d'une revue mise à la disposition de tous les diplomates, au Canada et ailleurs, David Jones, ancien conseiller politique à l'ambassade des États-Unis au Canada, a écrit:

Finalement, il y a seulement deux moyens pour maintenir l'unité nationale: la force ou la persuasion.

Tous les sénateurs se refusent à maintenir l'unité nationale par la force. Les Canadiens ont toujours compté sur le pouvoir de persuasion et ils doivent continuer de le faire.

(1630)

En parcourant le projet de loi, j'ai d'abord relevé que, selon ses partisans, il donne suite à l'avis consultatif de la Cour suprême du Canada. Il faut donc se demander si des failles se trouvent dans l'avis consultatif. En effet, quelle est la valeur d'un avis consultatif de la Cour suprême comparativement à celle d'un arrêt de la Cour suprême? Honorables sénateurs, il y a plusieurs failles dans l'avis concernant le renvoi sur la sécession du Québec. Par conséquent, le projet de loi, dans la mesure où il repose sur cette assise, est fondé sur une base bien fragile. Par rapport à un arrêt du plus haut tribunal du Canada, un avis consultatif n'a justement qu'une valeur consultative. En fait, l'honorable Antonio Lamer s'est exprimé publiquement à ce sujet. Il n'est pas nécessaire de traiter cet avis avec le même degré d'acceptation que celui qu'on accorderait à un arrêt de la Cour suprême. On ne doit pas oublier, comme on l'a vu dans la récente cause Marshall, que la Cour suprême peut, après avoir statué, clarifier ou modifier une décision antérieure.

Lorsqu'on analyse l'avis de la cour, il faut tenir compte de ce qu'elle appelle l'interprétation extrinsèque. La cour a été placée dans la position non enviable d'avoir à répondre aux questions du renvoi provenant du gouvernement du Canada. Il importe de reconnaître que la cour a tenté d'utiliser, dans son avis, cette technique de «l'interprétation extrinsèque», c'est-à-dire de lire dans une mesure législative ce qui ne s'y trouvait pas vraiment. Bien des commentateurs considèrent ce genre d'activisme judiciaire comme dangereux et corrosif pour les fonctions du pouvoir législatif de notre système de gouvernement.

Honorables sénateurs, si cela pose un problème que le tribunal «lise» dans la loi des dispositions qui n'en font pas normalement partie, cela doit donc, mutatis mutandis, poser un grave problème si le tribunal essaie de «lire» dans la Loi constitutionnelle des dispositions qui ne sont pas expressément prévues dans la Constitution. Autrement dit, le fait que le tribunal interprète la Constitution canadienne comme comportant des dispositions qui ne s'y trouvent pas pourrait constituer une dangereuse tentative de modification de la Constitution en évitant d'appliquer la méthode normale de révision de la Constitution.

Notre méthode de modification constitutionnelle vise à faire en sorte qu'aucun changement ne sera apporté à notre loi fondamentale tant que les Parlements fédéral et provinciaux n'auront pas pris les mesures qui s'imposent. Il ne faut pas permettre qu'une interprétation du tribunal court-circuite notre méthode de modification de la Constitution.

Dans cet avis, la cour essaie de «lire» dans la Constitution le droit pour un mouvement sécessionniste au Canada d'obliger le reste du Canada à négocier la sécession du Canada. Honorables sénateurs, ni la Loi constitutionnelle de 1867, ni la Loi constitutionnelle de 1982, ni les règles et principes écrits et non écrits de la Constitution ne prévoient une telle chose. L'avis de la cour exigerait qu'une telle disposition d'interprétation extrinsèque existe.

Une étude comparée des Constitutions des États-Unis d'Amérique et de la France montrera maintenant non seulement qu'elles ne prévoient pas la sécession, mais qu'elles ne permettent pas à leur Cour suprême d'y «lire» une telle disposition. On se souviendra peut-être que, en 1868, dans l'affaire Texas c. White, la Cour suprême des États-Unis avait déclaré: «L'union est indestructible».

Cela m'amène au principe de la divisibilité du Canada. Une importante ligne de faille dans l'avis consultatif de la cour et, partant, un principe erroné du projet de loi C-20, est l'hypothèse voulant que le Canada soit divisible. L'analyse de la théorie politique élaborée par la cour au sujet du fédéralisme, de la démocratie, du constitutionnalisme et de la primauté du droit l'ont amenée à émettre une opinion qui accepte implicitement le principe que le Canada est divisible. Heureusement, l'avis de la cour n'est qu'un avis, une opinion.

Songez, honorables sénateurs, que la Cour suprême des États-Unis d'Amérique et le tribunal constitutionnel des États-Unis du Mexique, les deux autres grandes fédérations qui partagent avec le Canada le continent nord-américain, des fédérations qui partagent avec nous les valeurs que sont la primauté du droit, la démocratie et le constitutionnalisme, ces fédérations ne laissent pas leur haute cour ni leurs gouvernements ou leurs assemblées législatives accepter le principe qu'elles sont divisibles; le Canada ne le devrait pas non plus.

Où dans l'avis consultatif de la cour est-il dit qu'il faut prendre des mesures législatives? L'avis consultatif, d'après la lecture que j'en ai faite, ne prévoit pas ni n'envisage que le Parlement doive adopter une loi pour donner effet à cet avis. D'ailleurs, l'ancien juge en chef s'est dit surpris qu'une telle mesure ait été prise par le gouvernement.

En outre, honorables sénateurs, où se trouve le pouvoir constitutionnel permettant au Parlement de présenter un tel projet de loi? L'avis consultatif de la Cour suprême ne précise pas de pouvoir constitutionnel sur lequel fonder le projet de loi qui a été présenté par le gouvernement. Comme le sénateur Nolin l'a demandé au parrain du projet de loi au Sénat:

On a demandé au Parlement de se prononcer sur la possible sécession d'une province. Sur quel pouvoir constitutionnel se fonde le gouvernement pour présenter ce projet de loi?

Honorables sénateurs, où dans la Constitution, dans la Loi sur le Parlement du Canada ou dans les us et coutumes du Parlement est-il dit que le pouvoir exécutif ou législatif a le droit de présenter des propositions législatives qui faciliteront ou rendront légal le démembrement du Canada?

Son Honneur le Président pro tempore: Honorables sénateurs, je regrette d'interrompre le sénateur, mais ses 15 minutes sont écoulées.

La permission est-elle accordée au sénateur de continuer?

Des voix: D'accord.

Le sénateur Kinsella: Honorables sénateurs, le Parlement a pour mandat d'adopter des lois que la majorité au sein des deux Chambres juge être dans l'intérêt supérieur du Canada. Ce projet de loi n'est évidemment pas dans l'intérêt supérieur du Canada parce qu'il prévoit des mesures pour démembrer le Canada. Même les dispositions relatives à la paix, à l'ordre et au bon gouvernement de l'article 91 de la Loi constitutionnelle de 1867 ne justifient pas le démembrement du Canada. Par conséquent, ce projet de loi, à mon avis, dépasse les compétences du Parlement et ne devrait pas être présenté au Sénat.

Il a déjà été dit qu'il est difficile de connaître l'avis de la cour sur la question de la formule de modification. L'avis consultatif prévoit la nécessité d'une modification constitutionnelle à la fin du processus envisagé, et on se serait attendu à ce que la cour et le parrain du projet de loi aient établi les circonstances dans lesquelles s'appliquerait la formule de modification. La cour ne précise pas quelle formule de modification s'appliquerait; le parrain du projet de loi au Sénat n'a pas pu le dire non plus quand je le lui ai demandé.

(1640)

Honorables sénateurs, pourquoi avoir présenté ce projet de loi? Après avoir décidé de demander l'opinion de la Cour suprême et après avoir reçu une opinion donnant au mouvement sécessionniste un nouveau droit constitutionnel de négocier, qu'est-ce qui peut bien pousser le gouvernement à donner aux sécessionnistes le droit juridique de se séparer? Le leader du gouvernement au Sénat, qui est aussi le parrain du projet de loi, a déclaré lors de la deuxième lecture:

La menace constante d'un troisième référendum sur la sécession du Québec en moins d'une génération ne nous laisse d'autre choix responsable que d'agir maintenant, avant que ne s'installe l'atmosphère de crise d'une campagne référendaire. Le premier ministre du Canada a demandé au premier ministre du Québec de s'engager à ne pas tenir de référendum au cours de son présent mandat. En refusant, le premier ministre du Québec a forcé le gouvernement fédéral à aller de l'avant avec ce projet de loi.

Honorables sénateurs, la question soulevée dans ce passage pourrait être appelée la question de la «durée de vie» des résultats d'un référendum, c'est-à-dire pendant combien de temps les résultats d'un référendum sont-ils valables? Le projet de loi C-20 ne dit absolument rien à ce sujet en dépit du fait que le parrain du projet de loi au Sénat nous ait dit que c'était une des raisons qui justifiaient la présentation du projet de loi.

J'attire maintenant l'attention des honorables sénateurs sur les raisons pour lesquelles je crois que le projet de loi C-20 facilite les choses pour le mouvement sécessionniste. Le parrain du projet de loi voudrait nous faire croire que l'adopter renforcerait l'unité canadienne. Je crains, honorables sénateurs que ce soit le contraire qui soit vrai. La Cour suprême elle-même, dans l'avis sur lequel le gouvernement prétend appuyer le projet de loi, déclare en termes clairs et sans aucune ambiguïté que, peu importe le processus envisagé, une sécession anticonstitutionnelle reste possible. Malheureusement, honorables sénateurs, une déclaration unilatérale d'indépendance est rendue encore plus probable si le projet de loi est adopté.

Voici ce que la Cour suprême déclare dans le dernier paragraphe de son avis. Le paragraphe 155 est le suivant:

Même s'il n'existe pas de droit de sécession unilatérale en vertu de la Constitution ou du droit international, c'est-à-dire un droit de faire sécession sans négociation sur les fondements qui viennent d'être examinés, cela n'écarte pas la possibilité d'une déclaration inconstitutionnelle de sécession conduisant à une sécession de facto. Le succès ultime d'une telle sécession dépendrait de sa reconnaissance par la communauté internationale.

C'est ce que la cour nous a dit après sa longue discussion sur le processus qu'elle examinait.

Honorables sénateurs, j'ai sur le mur de mon bureau une copie encadrée de la Déclaration américaine de l'indépendance. Elle est ornée de deux autocollants. Sur l'un est écrit «UDI» et sur l'autre, «Illegal and Unconstitutional».

Le projet de loi C-20 n'écarte pas la possibilité d'une déclaration inconstitutionnelle de sécession, mais les étapes décrites dans ce projet de loi rendent cette éventualité plus probable. Pourquoi? Comment le projet de loi C-20 facilite-t-il le mouvement sécessionniste?

La réponse découle, honorables sénateurs, de la logique inhérente des trois étapes menant à une sécession légale qui sont prévues dans le projet de loi. Le mécanisme du projet de loi devant servir à établir la clarté de la question donne un avantage au mouvement sécessionniste en faisant intervenir le gouvernement fédéral et le Parlement dans le processus de sécession. Que la Chambre des communes préautorise une question référendaire, voilà qui constitue un gain important pour la province sécessionniste. C'est également une perte importante pour le Canada puisque, la préautorisation ayant été accordée, le reste du Canada ne sera pas en mesure de contester la question. Il convient également de noter que ce qui peut être considéré comme clair à Ottawa ne l'est pas nécessairement dans les autres régions du Canada.

Imaginez, honorables sénateurs, la confusion qui s'ensuivrait si certaines provinces, pour des raisons spécifiques, ne s'entendaient pas avec la Chambre des communes quant à la clarté de la question. Songez à l'étape suivante, honorables sénateurs. Si le gouvernement refuse de collaborer avec la province sécessionniste pour arrêter la question claire, on dirait à la communauté internationale qu'Ottawa agit de mauvaise foi, ce qui faciliterait grandement la reconnaissance internationale, comme il est prévu au paragraphe 155 de l'avis de la cour. En d'autres termes, le projet de loi facilite la tâche de la communauté internationale. Les sécessionnistes feraient valoir à la communauté internationale qu'ils se conforment au droit canadien et, par conséquent, sur le plan diplomatique, il sera ainsi plus facile à la communauté internationale d'accorder la reconnaissance.

Les dispositions concernant l'évaluation de ce qui constitue une majorité claire à l'issue d'un référendum fait encore une fois le jeu des sécessionnistes. Cela donne au mouvement sécessionniste la possibilité d'obtenir une reconnaissance internationale en raison de cette majorité, quelle qu'elle soit.

Prenons le cas de la Francophonie. Sans nommer de pays, combien d'entre eux pourraient exiger une majorité de 50 p. 100 plus un pour reconnaître une province sécessionniste? Prenons le cas d'un général qui est chef d'État de son pays, qui n'a que 12 p. 100 de la faveur populaire, mais l'appui de l'armée. Que penserait un tel leader d'une majorité de 50 p. 100 plus un? Honorables sénateurs, la communauté internationale ne fera pas de difficulté pour accorder cette reconnaissance dans ce cas-là. Ne nous leurrons pas.

Le projet de loi porte sur la négociation avec une province de son projet de sécession. À ce jour, tous les premiers ministres du Canada, sans exception, ont refusé de prendre part à de telles négociations. Qui plus est, au vu de la pléthore d'exemples d'échec des négociations politiques au Canada, les possibilités que ces négociations aboutissent sont minces. À témoin, toutes ces négociations infructueuses auxquelles ont participé quelques-uns de nos sénateurs, concernant notamment des questions sur lesquelles tout le monde s'entendait au Canada. Ce processus, tel qu'énoncé dans le projet de loi, donne au mouvement séparatiste, je le répète, et sur un plateau d'argent, une nouvelle occasion de prétendre que les négociations ont été menées dans la mauvaise foi, pour ensuite réclamer la reconnaissance de la communauté internationale.

Le sixième paragraphe du préambule du projet de loi précise ceci:

... qu'au Canada, la sécession d'une province, pour être légale, requerrait une modification à la Constitution du Canada...

Pareille modification de la Constitution ne peut avoir lieu en l'absence des provinces. Je rappelle cependant que, en matière de pourparlers constitutionnels entre les provinces et le gouvernement fédéral, nous observons plus souvent des désaccords que des accords. Encore une fois, la province sécessionniste pourra déclarer à la communauté internationale qu'elle a fait de son mieux pour respecter la loi fédérale concernant son projet de sécession mais, la modification constitutionnelle requise ne se matérialisant pas, elle souhaite être reconnue par les autres nations. Le scénario envisagé au paragraphe 155 de l'avis juridique exprimé par la Cour suprême devient plus plausible.

Honorables sénateurs, je voudrais revenir rapidement sur la problème de la clarté de la question. Qui sont ces «acteurs politiques» qui devront participer au processus de détermination de la clarté de la question?

(1650)

Le septième paragraphe du préambule et l'article 1 du projet de loi, comme nous le savons tous, limitent à la Chambre des communes le soin de se prononcer sur cette question. À mon avis, c'est un cas classique de raisonnement dépourvu de logique quand le deuxième paragraphe du préambule du projet de loi précise que la question de la sécession est extrêmement grave et que l'on empêche ensuite l'une des deux Chambres du Parlement de jouer un rôle déterminant. Les honorables sénateurs se rappelleront que la Cour suprême, au paragraphe 32 de son opinion, a souligné qu'il existe quatre principes constitutionnels directeurs fondamentaux, y compris le respect des minorités.

Le Sénat fait partie intégrante du modèle bicaméral de démocratie parlementaire de Westminster depuis 1867. De fait, l'arrivée même du Sénat est un des éléments clés qui ont mené à l'établissement de la Confédération. Au cours de nos 133 ans d'histoire, c'est le Sénat qui a défendu les droits des régions et a assuré le respect des minorités. Il est donc indispensable que le Sénat du Canada joue un rôle déterminant dans un dossier aussi important pour les minorités des régions du Canada que celui de la sécession d'une partie du pays.

Le parrain du projet de loi au Sénat a tenté de soutenir que seul le pouvoir exécutif a le mandat de mener des négociations constitutionnelles et qu'il n'est pas nécessaire de limiter ce mandat comme le propose le projet de loi. Nous devons rappeler à l'honorable sénateur que notre système de gouvernement n'en est pas un où le Parlement n'exerce aucun rôle de supervision sur les aspects politiques des négociations constitutionnelles. Notre système parlementaire en est plutôt un dans le cadre duquel le Sénat et la Chambre des communes assurent une supervision importante des activités du pouvoir exécutif. Même si le gouvernement n'avait pas prévu cette mesure, ce que j'aurais préféré, cela ne signifierait pas que le pouvoir exécutif aurait été exempt de toute supervision de la part du Parlement.

En réalité, une des principales fonctions de la Chambre depuis la Confédération, et encore aujourd'hui, consiste justement à superviser le processus politique et l'exercice du pouvoir, non seulement par le pouvoir exécutif, mais aussi par la Chambre basse. Dans cette affaire, le tribunal a précisé qu'il n'a pas de rôle de supervision. Si aucune des Chambres du Parlement n'exerçait ce rôle, le gouvernement, qui contrôle la Chambre des communes, n'aurait absolument aucun compte à rendre, situation dont meurent nul doute d'envie certains fonctionnaires de l'édifice Langevin, mais qui n'est pas dans de meilleur intérêt du Canada.

Le fait que notre comité sénatorial permanent des finances nationales examine actuellement les crédits et que, l'autre jour, nous ayons voté sur les crédits ou que le leader du gouvernement au Sénat réponde chaque jour à des questions et rende compte des activités du gouvernement fournirait certainement des preuves prima facie de cette Chambre et en soulignerait le rôle de supervision. En effet, le rôle du leader du gouvernement au Sénat ne se limite pas à représenter le gouvernement au Sénat; il représente également le Sénat à la table du Cabinet. Je reviendrai sous peu sur cette question, honorables sénateurs.

Les auteurs et défenseurs de ce projet de loi nous disent qu'ils sont restés fidèles à l'avis consultatif de la cour dans la préparation de cette mesure législative. Toutefois, honorables sénateurs, si vous examinez qui, selon la cour, devrait jouer un rôle dans la détermination de la clarté d'une question référendaire et des résultats d'un référendum, la cour a déclaré que cela devrait être déterminé par les acteurs politiques.

Aux articles 100 et 153 de l'avis de la cour, les honorables sénateurs peuvent lire ceci:

Il reviendra aux acteurs politiques de déterminer en quoi consiste «une majorité claire en réponse à une question claire«, suivant les circonstances dans lesquelles un futur référendum pourrait être tenu.

Les notes publiées du ministre Dion, que j'ai trouvées sur Internet le 14 janvier 2000, explicitent le projet de loi et mentionnent cette question. Ses notes indiquent clairement que le septième paragraphe du préambule et l'article 1 concernent le fait que seuls les députés jouent un rôle déterminant dans la clarté de la question et du résultat et que l'énoncé de ces dispositions - selon les propres notes du ministre - provient des paragraphes 100 et 153 de l'avis de la cour.

Honorables sénateurs, je vous invite à lire ces paragraphes et à lire le projet de loi.

Il y a pire. Les auteurs du projet de loi écrivent ceci, à la page 2, au deuxième article:

Attendu que, compte tenu du fait que la Cour suprême du Canada a conclu qu'il revient aux représentants élus...

C'est là, noir sur blanc. Ils ne sont pas restés fidèles à l'avis de la cour. La cour a parlé d'acteurs politiques. Elle n'a pas limité aux représentants élus la capacité de déterminer la clarté de la question ou du résultat.

Honorables sénateurs, le sénateur qui a présenté ce projet de loi au Sénat a dit lui-même dans l'intervention qu'il a faite à l'étape de la deuxième lecture:

Comment le processus commencerait-il? Qui déciderait à l'origine s'il y a une majorité claire sur une question claire? Qui, selon le tribunal, sont les acteurs politiques qui devraient prendre ces décisions? Même si la cour ne répond pas directement à cette question...

En fait, la Cour ne donne pas la liste des «acteurs politiques», car il va de soi que les acteurs politiques au niveau provincial sont les membres des assemblées législatives et au niveau fédéral, les membres du Parlement du Canada - les sénateurs et les députés.

Lorsqu'il fait référence au paragraphe 101 de l'avis de la cour, le sénateur Boudreau affaiblit son cas en essayant de nous faire croire que c'est la cour qui parle de «représentants élus«. Honorables sénateurs, lisez le paragraphe 101. Vous verrez que la cour traite dans ce paragraphe de la question des négociations et utilise les mots «représentants élus» simplement et exclusivement dans le cadre des négociations que les électeurs peuvent finalement évaluer.

Il est évident, honorables sénateurs, que le projet de loi C-20 ne tient pas compte de l'avis de la Cour. Les auteurs de ce projet de loi font erreur. Ils font erreur en essayant d'exclure le Sénat et de l'empêcher de décider si la question est claire et si la majorité est claire. Honorables sénateurs, il s'agit d'une erreur d'autant plus grave que le Sénat est exclu sous prétexte que la Cour suprême a dit que seuls les «représentants élus» devraient jouer un rôle quand, en fait, la cour n'a rien dit de tel.

(1700)

Honorables sénateurs, examinons maintenant le dommage indirect historique que le projet de loi risque de causer au Sénat, peut-être de manière non intentionnelle. Dans sa forme actuelle, le projet de loi C-20 risque de causer un préjudice historique à la position du Sénat dans notre Parlement bicaméral. À moins que la majorité des sénateurs qui sont actuellement en fonction à cet endroit ne s'occupent de cette question, l'Histoire nous jugera comme des complices d'une démarche ayant gravement miné la position du Sénat dans l'exercice de ses fonctions qui consistent à surveiller les mesures prises par le pouvoir exécutif. À moins que la majorité des sénateurs de cet endroit ne fassent quelque chose, c'est pendant que nous serons en fonction que le Sénat du Canada cessera d'être un élément important des freins et contrepoids qui ont permis le maintien d'une démocratie parlementaire au Canada.

Je dois encore une fois revenir sur le deuxième paragraphe du préambule du projet de loi C-20 qui est ainsi libellé:

Attendu que toute proposition relative au démembrement d'un État démocratique constitue une question extrêmement grave et est d'une importance fondamentale pour l'ensemble des citoyens de celui-ci;

Il est tout simplement inconcevable, honorables sénateurs, que le Sénat du Canada, la moitié de notre Parlement bicaméral, ne joue pas un rôle déterminant par rapport à des questions extrêmement graves. Accepter cette proposition, c'est accepter de réduire le rôle du Sénat et d'amener ce dernier à ne s'occuper dorénavant que de questions sans importance.

Honorables sénateurs, le consentement du Sénat et celui de la Chambre des communes forment le consentement du Parlement. Lorsqu'on demande le consentement de l'une des chambres, il faut obtenir celui de l'autre, avant que la mesure législative puisse recevoir la sanction royale. En tentant d'obtenir le consentement d'une seule Chambre au sujet de questions «extrêmement graves», on entamerait sérieusement le droit du Parlement de voir son consentement protégé.

En fait, si nous poussons l'argument que le sénateur Fraser a avancé jeudi dernier jusqu'à sa conclusion logique, nous aurions alors, au sein du Parlement, un système législatif à deux vitesses. À la page 914 des Débats du Sénat de jeudi dernier, l'honorable sénateur a déclaré ce qui suit:

Nous n'allons pas à l'encontre de la volonté populaire exprimée clairement, même sur des questions pour lesquelles, en droit, nous avons le pouvoir de le faire.

Le reste de l'argumentation du sénateur est tellement intéressante que je pense que je devrais la citer en entier:

Il y a également la catégorie de questions à l'égard desquelles nous n'avons pas un tel pouvoir, une catégorie qui revêt un caractère si fondamentalement politique qu'elle fait l'objet d'une prérogative exclusive de la Chambre des communes, c'est-à-dire la Chambre des représentants élus par la population.

Fondamentalement, cette catégorie regroupe les deux éléments les plus fondamentaux d'un gouvernement démocratique: la décision quant à savoir qui doit former le gouvernement et le pouvoir de dépenser. Je suis cependant fortement touchée par l'argument voulant que l'objet du projet de loi C-20, l'approche du gouvernement à l'égard d'une sécession possible d'une province du Canada, est une autre question de ce genre, une chose qui est si fondamentalement politique, si intimement et directement liée à la volonté du peuple, qu'elle tombe également dans cette petite mais très importante catégorie où c'est la Chambre des communes, et non le Parlement dans son ensemble, qui doit prendre la décision et, bien entendu, assumer la responsabilité à cet égard.

Honorables sénateurs, selon cette thèse, nous avons une catégorie cruciale de projets de loi, tellement cruciale qu'une des deux Chambres du Parlement ne peut y jouer aucun rôle. Permettez-moi de rappeler aux sénateurs que, seulement au cours de la dernière législature, le Sénat a exercé un pouvoir législatif et a rejeté le projet de loi sur l'aéroport Pearson et celui sur la révision des limites des circonscriptions électorales, deux projets de loi déficients sur le plan constitutionnel. Devons-nous maintenant aussi demander à quelle catégorie appartiennent des projets de loi qui sont envoyés au Sénat? Nous n'avons pas le pouvoir de présenter des projets de loi de finances, car ils sont envoyés aux fins d'étude au Sénat. Devons-nous maintenant demander si ces projets de loi entrent dans la catégorie des intouchables?

Mon collègue, le sénateur Beaudoin, a développé cet argument très clairement dans ses questions. Si nous devons apporter une modification à la Constitution pour limiter le pouvoir du Sénat du Canada, qu'il en soit ainsi, mais le gouvernement ne devrait certes pas le faire à l'aide d'un simple projet de loi. Cependant, je laisserai au sénateur Beaudoin le soin d'approfondir cette question.

L'écrivain politique J.E. Hodgetts a écrit que le Parlement bicaméral a une importante responsabilité d'assurer la surveillance des actions du gouvernement. Je cite Hodgetts:

Le Parlement permet à l'autorité législative d'agir en tant que grande tribune de débat sinon d'éducation du pays. Alliée au droit historique de voir les griefs réglés par la Couronne avant de voter des crédits à l'appui des activités de la Couronne, cette capacité confère au corps législatif non seulement la responsabilité formelle d'approuver les lois, mais encore d'exercer une surveillance critique continue des décisions de l'exécutif.

Honorables sénateurs, attardons-nous un moment sur le jugement ou l'évaluation par le Sénat de projets de loi ou de résolutions. L'évaluation par notre assemblée des projets de lois ou des décisions du gouvernement a donné des jugements qualitativement différents de ceux de la Chambre des communes. Nous, sénateurs, ferions bien de nous rappeler que le Sénat a été établi pour assurer ce que Georges Étienne Cartier appelait «un pouvoir de résistance à opposer à l'élément démocratique».

Honorables sénateurs, sur le mur, dans les appartements du Président du Sénat, on peut lire cette célèbre phrase de Cicéron:

Principum munus est resistere levitati multitudinis.

Ce qui se traduit comme ceci: notre principal devoir, honorables sénateurs, est de nous opposer à l'inconstance de la multitude.

Honorables sénateurs, selon la théorie du sénateur Boudreau, puisque la Chambre des communes a pu adopter une motion de blâme à l'endroit du gouvernement, c'est le seul levier permettant d'assurer le principe du gouvernement responsable. J'estime que c'est tout simplement faux. Il y a beaucoup d'éléments en jeu dans notre système de gouvernement, et dans lequel le principe du gouvernement responsable a évolué. Des érudits soutiendront que, avec le passage au centre du pouvoir et le contrôle que l'exécutif exerce sur le législatif, il y a eu une diminution marquée de la responsabilité gouvernementale à l'égard du Parlement - certes peu à la Chambre des communes. Toutefois, le pouvoir du Sénat d'analyser et de critiquer le gouvernement est un élément essentiel dans la série de freins et contrepoids qui garde le pouvoir imposant du gouvernement quelque peu responsable. En fait, le rejet ici d'une importante mesure ministérielle en dirait long sur la légitimité du gouvernement à rester en place.

Il a fallu des élections générales avant qu'un Sénat à majorité libérale n'approuve l'Accord de libre-échange. Si la TPS avait été adoptée par le Sénat, cela aurait certes soulevé la question de confiance dans l'esprit des Canadiens. Honorables sénateurs, comme vous le savez mieux que moi, les gouvernements sont rarement renversés par le Parlement. De nos jours, le sort du gouvernement se décide par des élections générales et pas par un vote tenu au Parlement.

(1710)

B.J. Punnett a écrit un jour que l'évolution du système gouvernemental de Westminster avait laissé au Parlement la fonction essentielle de critiquer les activités du gouvernement et de les faire connaître. Le rôle actuel du Parlement n'est donc pas de chercher à renverser le gouvernement, mais plutôt de le forcer à assumer ses responsabilités. Voilà ce que l'on entend, au XXIe siècle, par gouvernement responsable.

L'argument de notre collègue, le sénateur Beaudoin, voulant que le Sénat ne devrait pas jouer un rôle déterminant pour ce qui touche le projet de loi C-20 parce qu'il ne constitue pas une Chambre de confiance, n'est pas très convaincant.

J'aimerais faire un commentaire respectueux sur le rôle du ministre au Sénat. Notre système de gouvernement repose sur le principe selon lequel la Couronne doit rendre des comptes au Parlement. L'acceptation de cette responsabilité des ministres face au Parlement et au souverain est l'un des principaux aspects de la constitution du Cabinet dans notre système de Westminster.

Le fait que les ministres viennent en général des deux Chambres du Parlement prouve le niveau d'influence du législatif sur l'exécutif. Nombreux sont les honorables sénateurs qui se posent les questions qui suivent. Quel genre d'observations le ministre du Sénat a-t-il bien pu apporter, le cas échéant, à la table du Cabinet lorsque l'idée d'essayer d'empêcher le Sénat de jouer un rôle déterminant dans le dossier du projet de loi C-20 a été lancée? A-t-il présenté l'objet et la place de cette Chambre dans notre Parlement bicaméral? A-t-il su expliquer le rôle du Sénat dans l'histoire ainsi que les principes du consentement, du deuxième examen objectif et de la protection des droits des minorités, qui sont à la base du fonctionnement du Sénat? A-t-il fait ressortir la fonction de surveillance que le Sénat exerce dans une série de vérifications et de contrôles qui font partie de l'exercice du pouvoir exécutif? N'est-il pas plutôt arrivé, honorables sénateurs, que le leader du gouvernement au Sénat se trouve dans une situation de conflit? L'impossibilité de siéger au Sénat et d'aspirer à occuper une place à la Chambre des communes n'a-t-elle pas été source de conflit et de confusion?

Compte tenu du secret qui entoure les délibérations du Cabinet, nous ne saurons jamais ce qui s'est réellement passé. Nous savons cependant que le processus qui a conduit à l'élaboration du projet de loi C-20 n'a pas bien servi le Sénat du Canada.

Honorables sénateurs, le sénateur Boudreau prétend que, le Sénat n'ayant qu'un veto suspensif de 180 jours dans les cas de modifications de la Constitution, il ne devrait pas pouvoir jouer un rôle déterminant dans le contexte du projet de loi C-20. Cet argument laisse à désirer à plusieurs égards. Premièrement, ce n'est pas un pouvoir dérisoire que ce veto de six mois dont dispose le Sénat en matière de modification constitutionnelle. Notre collègue, le sénateur Molgat, qui a présidé le comité plénier chargé d'étudier l'Accord du lac Meech, se rappellera de l'efficacité de la période de six mois. C'est justement pendant cette période que l'entente a commencé à s'effriter. Si l'on ajoute ce report, que le Sénat peut utiliser pour assurer l'intégrité constitutionnelle, aux contrôles additionnels que représente la nécessité d'obtenir l'appui des résolutions adoptées par les assemblées législatives provinciales, dont le nombre dépend de la formule d'amendement, force est de constater que la cause du sénateur Boudreau est faible. Soulignons en passant que, dans les cas de modification constitutionnelle, les acteurs politiques provinciaux ont une fonction déterminante, et pas un rôle purement consultatif, comme c'est le cas pour la question de la majorité dans ce projet de loi.

Deuxièmement, l'argument du sénateur Boudreau mesure mal le pouvoir dilatoire du Sénat. À un moment de notre histoire où le bureau du premier ministre domine la Chambre des communes grâce à une majorité contrôlée par le whip, le Sénat du Canada demeure la seule limite parlementaire véritable au pouvoir du gouvernement. De plus, le Sénat joue un rôle crucial d'explication et d'analyse des initiatives gouvernementales pour que les Canadiens soient mieux renseignés sur les questions dont le Parlement est saisi et sur les entreprises du gouvernement.

Le sénateur Boudreau affirme qu'il serait difficile de «faire une place» au Sénat. Honorables sénateurs, il existe de multiples façons d'obtenir le jugement du Sénat sur la clarté de la question sans retarder l'échéancier prévu au projet de loi. Par exemple, chacune des Chambres du Parlement pourrait être tenue de se prononcer en un nombre fixe de séances ou les deux Chambres pourraient siéger conjointement pour déterminer la clarté de la question. Honorables sénateurs, avec tout le talent qu'on trouve en cette enceinte et avec un minimum de créativité, on pourrait, et on devrait, concevoir d'autres modèles pour maintenir et assurer l'intégrité de cette Chambre-ci.

Je terminerai, honorables sénateurs, en rappelant que l'histoire de l'aventure canadienne est celle de diverses populations venues de diverses parties du monde, vivant sur un vaste territoire dans lequel on a su concilier les différences régionales et provinciales grâce au compromis et à la flexibilité. Or, ce projet de loi est un cadeau au mouvement sécessionniste. Il est une sortie de secours pour la communauté internationale. Il constitue une camisole de force pour les premiers ministres à venir. Macdonald, Laurier, Pearson et Diefenbaker doivent se retourner dans leurs tombes. Trudeau et Mulroney doivent sûrement être attristés par cette concession au mouvement sécessionniste.

Honorables sénateurs, les gens de bonne volonté ne remportent pas les batailles d'armes ou d'idées en demeurant perpétuellement sur la défensive. Ne vouloir rien d'autre qu'empêcher la sécession, c'est assurer en fin de compte que la sécession ne peut être empêchée. Les objectifs, les politiques et les visions positifs que tous les peuples du Canada désirent réaliser eux-mêmes sont beaucoup plus importants que les mesures que l'on prétend prendre pour réduire la menace ou limiter le défi de la sécession.

On ne peut attaquer la séduction du mouvement sécessionniste qu'en donnant à tous les Canadiens quelque chose de mieux avec quoi ils puissent vivre en accord, une chose pour laquelle il vaille la peine de vivre en tant que Canadiens. Notre pays ne peut survivre au moyen de mesures négatives. Il survivra au contraire s'il continue d'être inspiré par la foi de nos prédécesseurs.

Le Canada a maintenant besoin d'une nouvelle génération d'acteurs politiques, des hommes et des femmes de bonne volonté, pour nous rassembler plus étroitement grâce à la compréhension, à la créativité et à la collaboration. Au lieu de présenter un projet de loi qui facilite la sécession, au lieu de promouvoir une mesure qui, pour la première fois dans les 133 années d'histoire du Canada, rend la sécession légale, au lieu d'accepter l'hypothèse que le Canada est divisible, le gouvernement devrait reconnaître le droit des Québécois à l'autodétermination et, au moyen de programmes positifs et convaincants, fondés sur la fructueuse formule canadienne de la persuasion et du compromis, travailler à réaliser les aspirations et les rêves de tous au sein d'un Canada indivisible.

(1720)

On a demandé à la Cour suprême de se prononcer sur une question essentiellement sociopolitique. Le fond et la forme du dossier québécois s'inscrivent dans la revendication historique du Québec en tant que société distincte. Ce que le gouvernement nous donne avec le projet de loi C-20, c'est une loi qui, pour la première fois de notre histoire, rendra légale une revendication sécessionniste de la part de toute province, pour quelque motif que ce soit, même pour de simples considérations économiques.

À mon avis, honorables sénateurs, le gouvernement, c'est malheureux, a perdu le cap, et la population canadienne, sous le séduisant prétexte de clarté, pourrait bien perdre son pays.

Des voix: Bravo!

L'honorable J. Bernard Boudreau (leader du gouvernement): Honorables sénateurs, l'honorable sénateur Kinsella permettrait-il une ou deux questions?

Le sénateur Kinsella: Bien entendu, autant que les honorables sénateurs le désirent.

Le sénateur Boudreau: L'honorable sénateur Kinsella a décrit quelques scénarios et tiré quelques conclusions à l'égard desquelles j'ai des réserves. Je ne vais pas reprendre tous les éléments qu'il a soulevés, mais il a exposé deux grands principes sur lesquels il a fondé toute son argumentation.

Le premier principe fondamental était que le Canada est indivisible. Si nous acceptons ce principe, à quoi bon une loi qui vise à savoir si, oui ou non, la question est claire, et si le résultat doit être de 50 p. 100 plus 1, de 80 p. 100, de 90 p. 100 ou que sais-je encore?

Le sénateur Lynch-Staunton: Est-ce que le leader du gouvernement se pose la question à lui-même?

Le sénateur Boudreau: C'est tout à fait la question.

Le sénateur Kinsella rejette le projet de loi en se fondant sur le principe que le Canada est indivisible, et il cite en exemple la Constitution américaine.

Le sénateur Kinsella: De même que la Constitution mexicaine.

Le sénateur Boudreau: Je doute que les gens soient prêts à suivre l'exemple de la Constitution américaine. Les Américains se sont livrés à une guerre civile. Cette guerre civile a coûté la vie à plus d'Américains que toutes les autres guerres de leur histoire confondues. Ils ont fait cette guerre parce qu'ils croient que leur pays est indivisible. Je ne suis pas sûr que les Canadiens, voire les honorables sénateurs, puissent accepter ce principe.

Premièrement, l'honorable sénateur qui rejette entièrement le projet de loi n'est-il pas d'accord avec le chef de son parti, qui privilégie une majorité de 50 p. 100 plus une voix? Rejette-t-il cette idée? Rejette-t-il n'importe quelle formule, par exemple où une majorité des deux tiers de toutes les personnes ayant le droit de voter se prononcerait sur une question claire et se disait en faveur? Rejette-t-il ces deux options?

Le sénateur Kinsella: Je remercie le leader de sa question. Mon avis est que l'on ne devrait pas donner suite à ce projet de loi parce qu'il excède les pouvoirs de cette Chambre et, en fait, les pouvoirs de l'autre endroit. Premier point. Je ne crois pas qu'il soit de notre pouvoir d'adopter une loi qui n'est pas dans l'intérêt du Canada. Aucune loi dont l'objectif est finalement l'éclatement légal du Canada n'est dans l'intérêt du Canada.

Honorables sénateurs, nous avons seulement le pouvoir d'adopter des lois qui servent au mieux les intérêts du Canada. C'est pourquoi, pour répondre à la question du sénateur Nolin, je dis que je ne crois pas que nous avons ce pouvoir. Quelqu'un pourrait peut-être m'indiquer où ce pouvoir est accordé au Parlement dans la Loi sur le Parlement du Canada ou la Loi constitutionnelle de 1867 ou de 1982. Je n'arrive pas à le trouver.

La realpolitik à laquelle nous sommes confrontés dans cette Chambre, c'est que l'opposition est minoritaire. Par conséquent, ce projet de loi représente un énorme fardeau en raison des dommages collatéraux que subit le Sénat du Canada. S'il n'est pas corrigé, il pèsera très lourd sur les épaules de mes collègues, et en particulier mes collègues d'en face. Il est à espérer que nous ferons preuve de la créativité nécessaire pour faire face à cette responsabilité. Si la majorité décide d'aller de l'avant, en tenant pour acquis que la question ne se situe pas au-delà des compétences du Parlement, il me semble qu'il incombera à l'opposition de continuer, dans le sens épistémologique de la critique, à améliorer une situation qui laisse à désirer. Cela s'apparente beaucoup aux conseils de saint Augustin, qui a dit que même dans le mal, on peut trouver du bien. Nous devrons donc nous occuper des amendements qui pourraient être présentés. C'est pourquoi nous devons modifier la disposition qui a relativisé le rôle du Sénat. C'est insensé et inutile. Les mêmes objectifs peuvent être atteints sans agir de la sorte, et j'ai suggéré quelques façon de procéder.

Quant au fait que je prends comme principe fondamental que le Canada est indivisible, je suis manifestement en désaccord avec l'opinion de la Cour suprême. Dans la mesure où le projet de loi se fonde sur cette opinion et qu'elle est viciée, celui-ci repose sur une structure viciée.

Il incombe à ceux qui souhaitent apporter ce changement de prouver que le pays est divisible. Je suis d'avis qu'il est indivisible, et je vais soutenir et défendre cette position. À mon avis, les Canadiens pensent que le Canada est indivisible plutôt que divisible.

Le sénateur Boudreau: Honorables sénateurs, je me réjouis de cette position. Je demandais à l'honorable sénateur d'exprimer son point de vue personnel. En cet endroit, à l'occasion, nous faisons tous des compromis en fonction des résultats qui découlent des discussions. Je l'ai écouté avec intérêt exprimer son point de vue au sujet de l'indivisibilité du Canada, position qui signifie qu'aucun vote sur quelque question possible et selon quelque pourcentage que ce soit ne peut aboutir à la sécession. Je ne suis pas d'accord avec lui. Toutefois, je suis content qu'il nous ait dit clairement ce qu'il pense.

Si cette mesure législative est ultra vires, c'est la Cour suprême qui portera un jugement définitif sur la question. Elle le fera probablement avec beaucoup plus de compétence - et je parle uniquement pour moi - que je ne saurai jamais le faire.

Maintenant que nous avons établi que nous sommes en total désaccord quant au fait que tout résultat, quel qu'il soit, justifierait ou ne justifierait pas la négociation de la sécession, je voudrais poser une deuxième question. Elle a également trait au principe fondamental contre lequel le sénateur s'élève, à savoir celui du rôle du Sénat. Il a soutenu que le Sénat a, de toujours, exercé un rôle de surveillance dans le cadre des négociations constitutionnelles menées par l'exécutif. Je vérifierai demain ses paroles exactes dans les Débats du Sénat d'aujourd'hui. Mais je pense que c'est en ces termes qu'a parlé le sénateur. Je me suis alors demandé comment devait faire le Sénat. En quoi consiste ce rôle de surveillance que le Sénat est amené à jouer aujourd'hui, ou qu'il a été amené à jouer dans un passé récent, en matière notamment de négociations constitutionnelles? Le sénateur ne peut avoir voulu parler de surveillance législative, car le projet de loi ne limite en rien cette capacité. Nous conservons ce pouvoir. Comme il ne parle donc pas du processus législatif, il doit nécessairement parler d'autre chose.

Le sénateur a effectivement précisé sa pensée dans les deux ou trois phrases qui ont suivi. Il a déclaré que, lors de la période des questions au Sénat, le leader du gouvernement au Sénat devait, en sa qualité de ministre, répondre aux questions des sénateurs. En fait, cela fait partie de notre rôle de surveillance.

L'honorable sénateur a ensuite cité l'adoption des projets de loi de crédits. Je suppose que si nous refusions d'adopter de tels projets de loi, des difficultés s'ensuivraient. Actuellement, il semble que ce soit ainsi que le Sénat exerce un rôle de supervision à l'égard des négociations constitutionnelles de l'exécutif. Ma question est la suivante: quel est l'effet de ce projet de loi sur le rôle de supervision tel que le décrit le sénateur? Ces exemples seront encore valables demain, le mois prochain, dans un an et longtemps après l'adoption de ce projet de loi. En fait, le projet de loi n'a aucun effet, premièrement, sur l'aspect législatif du rôle du Sénat et, deuxièmement, sur le rôle de supervision auquel fait allusion le sénateur. Le projet de loi n'a aucun effet sur ces aspects de notre rôle. Comment ce rôle de supervision, que le Sénat exerce traditionnellement sur le droit de l'exécutif de négocier, pourrait-il être amoindri?

(1730)

Le sénateur Kinsella: Honorables sénateurs, cet objectif a dû être élaboré à cause de la théorie imparfaite sur le gouvernement responsable que le leader du gouvernement au Sénat a fait valoir dans son discours à l'étape de la deuxième lecture. Le leader a invoqué cette théorie pour tenter de justifier le fait que le Sénat n'aurait pas de rôle déterminant à l'égard de la clarté de la question et du résultat.

Honorables sénateurs, je suis d'avis que le Sénat du Canada remplit un rôle de supervision. Le Sénat du Canada et l'autre endroit ont chacun une responsabilité et un devoir à remplir pour que le gouvernement rende des comptes. Dans notre système, honorables sénateurs, les gouvernements sont tenus de rendre des comptes. D'aucuns voudraient que ce ne soit pas le cas, mais tout notre système de démocratie parlementaire repose sur le principe de la responsabilité ministérielle.

Le Sénat, contrairement à ce qu'on peut penser dans certains quartiers - et c'est une opinion qui aurait pu être mise en valeur dans votre théorie sur le gouvernement responsable - a un rôle de supervision sur l'exercice du pouvoir exécutif. En ce qui a trait à l'exercice du pouvoir exécutif à l'égard des négociations constitutionnelles, je suis d'accord avec le sénateur quand il dit que le gouvernement n'avait pas besoin de l'approbation du Parlement, en vertu d'une loi, pour exercer ce pouvoir exécutif de mener des négociations constitutionnelles. J'aurais préféré qu'il ne propose pas ce projet de loi et qu'il n'essaie pas d'imposer des contraintes, mais, même s'il ne l'avait pas fait, il n'aurait pas été absous d'une omission par le Sénat et par l'autre endroit. Le pouvoir exécutif n'est pas un pouvoir dont il n'est pas nécessaire de rendre compte, même lorsque l'exercice de ce pouvoir exécutif traite de questions constitutionnelles. Cela est différent du processus de modification prévu par la Constitution, qui exige une résolution des deux Chambres, même si la résolution du Sénat, si elle est refusée, a un pouvoir suspensif de 180 jours.

Honorables sénateurs, nous ne devons pas laisser se perpétuer le mythe selon lequel le Sénat du Canada n'a aucun devoir de surveillance et ne peut pas exiger des comptes du pouvoir exécutif, parce que c'est faux.

Le sénateur Boudreau: Je ne crois pas être en désaccord avec l'honorable sénateur sur ce qu'il vient de dire. Le Sénat et la Chambre des communes ont un rôle de surveillance et un pouvoir exécutif, comme l'a dit l'honorable sénateur dans le corps de son intervention. Là où nous divergeons d'opinion, c'est sur la question de savoir si le projet de loi modifiera en quoi que ce soit le pouvoir de surveillance du Sénat. Pour le moment, je ne vois pas ce qu'il pourrait changer. En quoi le rôle ou l'important pouvoir du Sénat pourraient-ils changer? Comment le projet de loi modifie-t-il le rôle du Sénat?

Le sénateur Kinsella: Le rôle du Sénat subira une modification fondamentale et le Sénat subira un tort historique. Le Sénat du Canada aura été relativisé et aura été rabaissé en ne pouvant pas émettre une opinion officielle sur ce qui constitue une question claire et une majorité claire. En refusant au Sénat un rôle déterminant là où la Chambre des communes aurait un tel rôle, on apporterait un changement fondamental au Sénat du Canada, à ses usages et à ses pratiques. Ce serait fatal pour la tradition du consentement parlementaire.

L'honorable B. Alasdair Graham: Honorables sénateurs, je voudrais une clarification. L'honorable sénateur Kinsella a fait allusion au principe du 50 p. 100 plus une voix. Croit-il qu'un vote devrait suffire pour briser le pays?

Le sénateur Kinsella: Absolument pas. Je partage le point de vue du sénateur Lynch-Staunton, qui a parlé de cet aspect de la question. Je prétends que, devant le faux sentiment de sécurité créé par le projet de loi, nous devons prendre très au sérieux ce que la Cour suprême nous a dit. Nous pouvons suivre toutes les étapes, mais une déclaration unilatérale anticonstitutionnelle et unilatérale d'indépendance reste une possibilité. La cour nous a mis en garde. Par conséquent, si vous examinez toutes les étapes à suivre, notamment ce qui concerne une majorité claire, il faut bien admettre que très peu de pays exigeront la norme supérieure des 66 p. 100 si on leur demande d'accorder une reconnaissance internationale à une province sécessionniste. Très peu de pays dans le monde refuseraient d'accorder une reconnaissance internationale à une province sécessionniste si elle obtenait 50 p. 100 plus une voix. D'ailleurs, je l'ai dit entre parenthèses, dans beaucoup de pays avec qui nous avons de bons rapports, les gouvernements fonctionnent sans quoi que ce soit qui se rapproche d'un soutien de 50 p. 100 plus une voix. Il me semble que l'issue logique à laquelle il nous conduit est le recours à la force. Pourrait-il apporter des éclaircissements?

Le sénateur Graham: Je suis heureux que le sénateur Kinsella ait éclairci ce point. Dans son exposé, le sénateur a associé la règle des 50 p. 100 plus un au dictateur qui n'avait que 12 p. 100, mais qui avait aussi une armée. Je comprends qu'il veut dire qu'une majorité de 50 p. 100 plus un serait suffisante. C'est l'impression que j'ai eue de vos remarques sur le démantèlement du pays.

Le sénateur Kinsella: Je remercie le sénateur de son intervention. La question repose sur les «acteurs politiques» mentionnés par la cour, soit les acteurs politiques internationaux. En bout de ligne, ce sont eux qui détermineront si, oui ou non, le Canada sera divisé en différents pays. La cour nous l'a dit. Ce projet de loi est mal pensé parce qu'il établit des étapes qui sont toutes vouées à l'échec. Ainsi, à chaque étape, on tend au mouvement sécessionniste une occasion en or sur un plateau d'argent. C'est une approche très imprudente. Certains principes étaient énoncés dans l'avis. Nous aurions dû nous en tenir à cela. Ce projet de loi ne fait qu'aggraver la situation.

(1740)

L'honorable Joan Fraser: Honorables sénateurs, je veux revenir à la question de l'indivisibilité. C'est une question absolument cruciale qui va au coeur de ce que nous sommes en tant que pays. J'ai peur de ne pas encore bien comprendre la position du sénateur Kinsella. Il a commencé en disant, et je suis certaine que nous serions tous d'accord sur ce point -- qu'il n'y a que deux moyens de préserver l'unité d'un pays: la force et la persuasion. Il a poursuivi en disant -- et, encore une fois, je suppose que nous serions tous d'accord sur ce point -- que nous n'appuierions pas le recours à la force. Il a ensuite énuméré, sur un ton qui semblait approbateur, un certain nombre de régimes où la sécession est interdite. Il a mentionné que les États-Unis avaient eu recours à la force pendant quatre ans pour empêcher la sécession. Il a aussi donné l'exemple du Mexique, qui a eu recours à la force. Il aurait pu mentionner d'autres fédérations, par exemple la Russie, l'Inde et d'autres peut-être.

Le sénateur Kinsella n'a pas expliqué comment on pourrait préserver l'unité d'un pays, comment on pourrait faire respecter son principe d'indivisibilité si la persuasion échouait et si, malgré nos meilleurs efforts, une majorité indiscutablement claire des habitants d'une province donnée disaient, en réponse à une question indiscutablement claire, qu'ils ont écouté nos arguments de persuasion, mais qu'ils veulent quand même quitter la fédération.

Le sénateur Kinsella: Je remercie l'honorable sénateur de sa question. Je tiens tout d'abord à réaffirmer que le Canada est indivisible. Deuxièmement, si on examine la théorie et l'argumentation contenues dans l'opinion de la Cour suprême, on se rend compte qu'elles reposent sur une analyse de la Constitution, de la primauté du droit, de la démocratie et du fédéralisme.

Les deux autres fédérations avec lesquelles nous partageons le continent nord-américain, soit les États-Unis et le Mexique, ont elles aussi ces mêmes valeurs. La Constitution d'aucun de ces deux États ne reconnaît la possibilité d'un éclatement de leurs pays. C'est, pour eux, une règle de base.

Je crois que nous devrions adopter la même règle de base. Nous devrions poser comme règle de départ que le Canada est indivisible. Si nous le faisons, il y de fortes chances pour que l'unité de notre pays, que nous anticipons, se perpétue malgré les hauts et les bas que notre pays a connus au cours de ses 133 ans d'existence.

Toutefois, si vous partez du principe que le Canada est divisible, si vous créez un terrain propice à la séparation, elle finira par se produire. Si vous restez toujours sur la défensive face au mouvement sécessionniste, il finira par vaincre.

Je crois, honorables sénateurs, que la solution se trouve dans la nouvelle génération d'idées, qui reconnaissent une grande diversité parmi les peuples qui composent le Canada. Je ne tiens pas à parler de plan A et de plan B, que certains trouvent attrayants. De toute évidence, comme l'exprime si bien la métaphore employée par le chef du Parti libéral du Québec, cela nous conduit vers un grand trou noir.

L'honorable Gérald-A. Beaudoin: Pour faire suite à la question du sénateur Boudreau, si une simple loi peut donner un pouvoir à une Chambre mais pas à l'autre, ne finit-on pas par réduire considérablement les pouvoirs de l'autre Chambre au bout de cinq ou six de ces lois? J'entend, par l'autre Chambre, le Sénat. Et ce serait fait sans avoir à modifier la Constitution.

Le sénateur Kinsella: Je suis tout à fait d'accord. J'espère que le sénateur Beaudoin développera clairement ce thème. Nous avons des lois. Nous avons la Loi constitutionnelle de 1867, la Loi constitutionnelle de 1982 et nous avons des us et coutumes, tout comme, au sein du Parlement, nous avons la Loi sur le Parlement du Canada et le Règlement du Sénat. Nous avons également des us et coutumes qui se développeraient pour une variété de raisons, y compris l'actuel processus de sélection des sénateurs. Nous serons tenus responsables de la revitalisation, durant notre mandat, du Sénat par rapport à la Chambre des communes.

Honorables sénateurs, je ne vois pas comment nous pourrions faire autrement que travailler tous ensemble au règlement de ce problème. Il peut être réglé.

L'honorable Jerahmiel S. Grafstein: Honorables sénateurs, j'ai écouté avec grand intérêt le sénateur Kinsella. Je le félicite de l'habilité avec laquelle il a exposé ces questions de son point de vue. Il a deux objections constitutionnelles à faire, à ce que je sache. La première concerne la diminution des pouvoirs du Sénat, ce à quoi a fait écho le sénateur Beaudoin en se fondant sur la Constitution et les coutumes constitutionnelles.

Je ne me prononcerai pas là-dessus pour l'instant, mais je m'intéresserai plutôt à la première affirmation du sénateur voulant que le projet de loi soit ultra vires. Il s'est fondé sur le point de vue que l'avis consultatif de la Cour suprême pourrait être vicié.

La question du caractère inconstitutionnel du projet de loi, par opposition à la question du Sénat - je tiens à séparer les deux - est la suivante: puisque la Cour suprême a donné un avis consultatif, qu'il soit vicié ou non, et que le gouvernement, à tort ou à raison, a décidé d'exercer sa discrétion au moyen de ce projet de loi qui, comme nous l'avons entendu, s'en tient strictement à l'avis consultatif, comment le sénateur Kinsella peut-il dire que le projet de loi est inconstitutionnel?

Le sénateur Kinsella: Honorables sénateurs, malheureusement, dans l'avis consultatif sur le renvoi concernant la sécession du Québec, la cour ne s'intéresse pas à la question de savoir si le Parlement a le pouvoir ou non de présenter ce genre de projet de loi. En fait, nulle part dans l'avis la cour ne recommande la présentation de ce genre de projet de loi. D'ailleurs, l'ancien juge en chef de la cour s'est dit surpris qu'une disposition législative ait été présentée à cet égard.

Si l'on persistait dans cette voie, il faudrait demander à la cour son opinion sur le fondement constitutionnel ou sur le pouvoir qui permet au Parlement d'adopter une loi entraînant l'éclatement du Canada. La cour ne nous dit pas cela.

(1750)

Je pense que cela outrepasse les compétences du Parlement, étant donné que, selon notre tradition parlementaire, le consentement des Chambres du Parlement est donné à la Couronne, relativement à des mesures qui sont dans l'intérêt des Canadiens. Ce projet de loi ne pourrait jamais être dans l'intérêt du Canada, car, au bout du compte, il mène à l'éclatement de notre pays.

Le sénateur Grafstein: Encore une fois, cela me préoccupe un peu. Je veux que la question des pouvoirs du Sénat soit traitée à part. À mon avis, il n'y a à cet endroit aucun sénateur assermenté pouvant rejeter la prémisse selon laquelle personne ne souhaite, de quelque façon que ce soit, l'éclatement du Canada. Je ne vois pas comment quelqu'un qui a siégé à cet endroit pourrait avoir cela comme objectif. Je pense que nous partageons tous une valeur commune, qui s'appuie sur le serment que nous avons prêté afin de préserver la Constitution et de maintenir l'unité de notre pays.

Toutefois, nous avons maintenant un avis, et cet avis a soulevé des questions. Si l'exécutif choisit, comme le leader du gouvernement l'a laissé entendre, d'exercer sa discrétion d'une manière particulière et peut-être de la limiter d'une manière particulière, en quoi cela est-il répréhensible, sur le plan constitutionnel, si l'on fait abstraction du rôle du Sénat?

Le sénateur Kinsella: C'est précisément la question. L'exécutif n'avait pas à demander l'approbation de la Chambre des communes pour se lancer dans ce processus. L'exécutif n'a pas besoin de mesure législative pour faire ce qu'il veut dans ce domaine. Toutefois, chacune des Chambres aura le devoir et la responsabilité d'exiger que le gouvernement rende des comptes sur ce qu'il fera dans ce domaine. Là, la Chambre des communes est cooptée dans ce processus. Comment, alors, pourra-t-elle exiger que l'exécutif rende des comptes?

L'honorable John G. Bryden: Le sénateur acceptera-t-il encore une question?

Le sénateur Kinsella: Oui.

Le sénateur Bryden: J'ai écouté la présentation du sénateur Kinsella et j'ai prêté une attention particulière à la partie concernant le fait que le pays est indivisible ainsi qu'à celle où il a dit que nous ne pouvions pas user de la force pour maintenir le Canada uni. Nous n'avons pas le pouvoir de le faire d'une autre manière sinon, peut-être, par la persuasion.

En écoutant, je me suis rappelé un professeur qui a enseigné pendant un bon nombre d'années à l'Université St. Thomas et qui y travaille peut-être toujours. Il était un disciple d'Aristote. Il m'est apparu que la logique, du moins selon la définition d'Aristote, était un peu tordue. Nous disons que le pays est indivisible, qu'il ne peut être séparé. Nous n'avons aucune compétence à ce sujet. Aucune loi ne traite de cette question. Les États-Unis ne peuvent être séparés, mais ils ont utilisé la force pour en arriver là. Nous ne ferions pas cela. Le Mexique non plus ne peut pas être divisé, mais il a eu aussi recours à la force. Le Canada ne ferait pas cela.

Le problème s'apparentera-t-il à celui de l'homme qui ne cessait de penser qu'il était mort? Un logicien aristotélicien a dit: «Je peux le forcer à reconnaître qu'il n'est pas mort. Je peux le forcer à reconnaître qu'il est vivant. Donnez-moi quelques minutes avec lui.» On l'a laissé rencontrer l'homme. Le logicien lui a demandé s'il croyait qu'il était mort. L'homme lui a répondu oui. Le logicien lui a dit: «Permettez-moi de vous poser une question. Est-ce que les hommes morts saignent?» L'homme a répondu: «Non, monsieur, les hommes morts ne saignent pas.» Le logicien lui a dit: «Donnez-moi votre main.» Il a fait une incision dans la main de l'homme et l'a serrée, puis il lui a demandé: «Que pensez-vous de cela?» L'homme a répondu: «Mon Dieu, mais les hommes morts saignent!»

Sénateur Kinsella, ma préoccupation a trait au fait que, suivant votre logique, vous allez vous réveiller un jour et constater que le Canada est devenu plus qu'un seul pays. Vous allez alors vous dire :«Mon Dieu, le Canada est divisible!»

Le sénateur Kinsella: Je pense que les arguments du sénateur Bryden sont plutôt de nature sophistique qu'aristotélicienne.

Notre collègue a fait allusion au bon docteur saint Thomas d'Aquin, qui a défini la loi comme un édit de la bonne raison. J'ai fait valoir qu'il n'y a aucune bonne raison qui sous-tende cette proposition législative, parce que si nous adoptons ce projet de loi et que celui-ci devienne partie des Statuts du Canada, il est possible que toutes les étapes soient suivies pour en arriver à la sécession légale d'une partie du pays. Sur le plan juridique, c'est bien beau tout cela, mais je ne pense pas que cela puisse se produire un jour. Cela dit, même avec cette mesure, le Canada disparaîtrait.

Je vais employer une métaphore différente de celle qu'a utilisée le sénateur Bryden. Je vais employer la métaphore de la belle maison victorienne que le sénateur Robichaud possédait à l'époque sur le chemin Waterloo, à Fredericton. Cette maison aurait pu tenir durant des centaines d'années, à part le fait que le câblage électrique datait du début du siècle, de sorte que les risques d'incendie étaient très réels. Le sénateur Robichaud devait-il faire appel aux services d'un électricien pour refaire le câblage dans la maison, ou devait-il se procurer une assurance contre le feu? Honorables sénateurs, avec ce projet de loi, le gouvernement agit comme s'il avait opté pour une assurance contre le feu.

(Sur la motion du sénateur Hays, le débat est ajourné.)

Les travaux du Sénat

L'honorable Dan Hays (leader adjoint du gouvernement): Honorables sénateurs, j'aimerais appeler les articles à l'ordre du jour dans l'ordre suivant: l'article numéro 6, soit le projet de loi S-17, dont veut discuter le sénateur Angus; l'article numéro 5, soit le projet de loi S-18, dont veut discuter le sénateur Meighen; l'article numéro 7, soit le projet de loi C-13, dont veulent discuter les sénateurs Carstairs et Keon; l'article 3, soit le projet de loi C-10, dont veut discuter le sénateur Moore; et l'article 4, soit le projet de loi S-19.

Toutefois, avant de commencer, j'aimerais demander la permission afin que l'on ne voie pas l'horloge durant une heure. Si nous terminons plus tôt, tant mieux, mais, en supposant que la permission est accordée, j'aimerais aussi soulever un autre point.

Son Honneur le Président: Y a-t-il consentement afin que je ne voie pas l'horloge durant une heure?

Des voix: D'accord.

Son Honneur le Président : Je vais donc quitter le fauteuil à 19 heures, à moins qu'une autre entente n'intervienne.

(1800)

Pêches

Autorisation au comité de se réunir pendant la séance du Sénat

Permission ayant été accordée de revenir aux avis de motion:

L'honorable Dan Hays (leader adjoint du gouvernement): Honorables sénateurs, avec la permission du Sénat et nonobstant l'alinéa 58(1)a) du Règlement, je propose:

Que le Comité sénatorial permanent des pêches soit autorisé à siéger à 18 heures aujourd'hui pendant la séance du Sénat et que l'application du paragraphe 95(4) du Règlement soit suspendue à cet égard.

Son Honneur le Président: Les honorables sénateurs le permettent-ils?

Des voix: D'accord.

(La motion est adoptée.)

La Loi sur la responsabilité en matière maritime

Deuxième lecture

L'ordre du jour appelle:

Reprise du débat sur la motion de l'honorable sénateur Furey, appuyée par l'honorable sénateur Fraser, tendant à la deuxième lecture du projet de loi S-17, Loi concernant la responsabilité en matière maritime et la validité de certains règlements.

L'honorable W. David Angus: Honorables sénateurs, je suis un peu hésitant, et même gêné, de présenter un sujet plutôt technique après avoir écouté le savant débat de cet après-midi au sujet du projet de loi C-20. La qualité du débat a été particulièrement élevée et fascinante compte tenu de la nature du thème abordé, soit la survie de notre grande nation. J'espère que vous ferez preuve de patience à mon égard, car mon sujet n'a pas de lustre par rapport à l'autre.

J'interviens au sujet du projet de loi S-17, qui a été présenté par l'honorable sénateur Boudreau et qui a franchi l'étape de la première lecture ici le 2 mars 2000. Le projet de loi a été abordé et proposé en vue de la deuxième lecture le mardi 21 mars par le sénateur Furey.

Permettez-moi de souligner au départ, honorables sénateurs, que j'appuie fermement cette mesure législative et que je préconise qu'elle franchisse rapidement le processus parlementaire, y compris l'étape de l'étude pertinente par le comité sénatorial permanent des transports et des communications, et par le comité des transports de l'autre endroit.

Deuxièmement, je note avec plaisir que le gouvernement a encore une fois pris des mesures afin de faire avancer cette mesure législative longtemps attendue et ce, d'autant plus, honorables sénateurs, qu'il a choisi d'entamer le processus au Sénat. J'espère que nous verrons un plus grand nombre d'initiatives comme celle-ci.

Troisièmement, je déplore la façon maladroite dont le gouvernement a à plusieurs reprises traité de cette mesure législative au Parlement, tant dans sa forme actuelle que dans ses premières manifestations, ce qui a entraîné des retards regrettables et substantiels, tant et si bien que l'image par ailleurs excellente dont jouit le Canada dans les milieux nationaux et internationaux du droit maritime et des assurances a été ternie et remise en question au Canada et à l'étranger.

Comme beaucoup de sénateurs, je crois, le savent, j'ai consacré l'essentiel de mes 38 ans de carrière d'avocat au droit maritime sous tous ses aspects. De 1988 jusqu'à la fin de 1991, j'ai été président de l'Association canadienne de droit maritime, je suis depuis 1994 membre du conseil exécutif du comité maritime international, le CMI, à Anvers, en Belgique, qui est une association privée de droit maritime international et qui regroupe parmi ses membres une cinquantaine d'associations de droit maritime d'un peu partout dans le monde.

Je m'intéresse, en fait je me consacre, depuis de nombreuses années à l'uniformisation du droit maritime canadien et international et à l'harmonisation mondiale de ses règles et règlements. Je suis donc ravi de pouvoir m'associer aux principes et objectifs du projet de loi S-17, et de les appuyer.

Je dis ceci non seulement pour faire savoir aux honorables sénateurs l'intérêt particulier que je porte à cette mesure législative, mais aussi pour montrer que je connais bien les questions abordées dans ce projet de loi, en particulier l'importance d'uniformiser les lois nationales et internationales comme celles qui établissent le régime de responsabilité des propriétaires de navires et les règles et normes relatives à la sécurité des navires et la vie en mer. Le Canada participe depuis des décennies et avec distinction aux travaux d'organisations internationales qui se consacrent à la promotion de l'uniformisation et de l'harmonisation du droit maritime, dont l'Organisation maritime internationale, l'OMI, et le CMI.

Ce projet de loi prévoit un ensemble de nouvelles dispositions de fond dans quatre de ses parties, les parties 1, 2, 4 et 5. Le reste du projet de loi consiste en grande partie en une modernisation, un remaniement et des mesures de forme connexes. Ce qui est plus important, cependant, c'est que le projet de loi, qui vise la création d'une nouvelle loi sur la responsabilité en matière maritime, à laquelle on pourra ajouter ou supprimer des éléments, comme on pourra le juger approprié au cours des années à venir, entre dans la catégorie d'un projet de loi cadre; il consiste en une restructuration, une modernisation et une simplification générales des principaux éléments du droit maritime canadien. En ce sens, honorables sénateurs, je crois que le projet de loi S-17 est une initiative positive et constructive.

Les aspects de fond du projet de loi, à la partie 4, concernent l'adoption, longuement attendue, dans le droit canadien, de la Convention d'Athènes relative au transport par mer de passagers et de leurs bagages, qui prévoit un régime exhaustif, reconnu internationalement, de responsabilité des propriétaires de navires à l'égard des décès ou des blessures corporelles de passagers à bord des navires. La loi canadienne actuelle ne traite que des limites générales de responsabilité à l'égard des créances maritimes, y compris des créances des passagers, mais elle n'établit pas de fondement permettant de déterminer la responsabilité à l'égard des passagers à bord de navires, de sorte que ces passagers doivent compter sur diverses lois canadiennes et, dans certains cas, sur des lois provinciales incertaines concernant la négligence pour régler leurs créances et obtenir une indemnisation.

La Convention d'Athènes a été adoptée par l'OMI, avec la pleine approbation du Canada, en décembre 1974, en tant que convention uniforme qui a été modifiée en 1990 par un protocole mettant à jour ses limites de responsabilité. Il est maintenant grand temps que le Canada applique cette convention en l'incorporant dans ses lois.

Deuxièmement, les aspects de fond du projet de loi, dans la partie 2, concernent l'adoption, en vertu du droit fédéral, d'un ensemble de dispositions désormais appelé «droit maritime du Canada» et prévoyant un nouveau régime de partage de la responsabilité à l'égard des créances maritimes, clarifiant ainsi un secteur du droit canadien qui est actuellement compliqué et déroutant. S'il est promulgué, le projet de loi S-17 offrira un régime uniforme relativement au partage de la responsabilité applicable à tous les dommages civils régis par le droit maritime canadien. Ce régime fait suite aux décisions que la Cour suprême du Canada a rendues en 1997 et en 1998 dans Bow Valley Husky (Bermuda) Ltd. c. St. John Shipbuilding Ltd., et dans Ordon c. Grail, qui soutenaient entre autres que les tribunaux canadiens peuvent répartir les dommages, selon le degré de faute déterminé par le tribunal, entre le demandeur et le défendeur, ou entre les défendeurs en cas de responsabilité conjointe.

Troisièmement, la partie 1 du projet de loi contient également une nouvelle loi importante en ce sens qu'elle vise à mettre à jour le droit maritime canadien de façon à tenir compte des récents développements qui se sont produits dans la législation provinciale concernant les accidents mortels. À cet égard, le projet de loi S-17 confirme que, par suite de la faute ou de la négligence d'autrui dans le domaine maritime, des réclamations peuvent être faite contre les personnes et contre les navires in rem, ce qui permet aux parents des personnes décédées ou blessées de réclamer une indemnité compensatoire pour la perte des conseils, des soins et de la compagnie. On modernise également la formulation des dispositions législatives concernant ces réclamations. Pour le reste, la partie 1 remet en vigueur les dispositions concernant les accidents mortels qui figurent actuellement à la partie 14 de la Loi sur la marine marchande du Canada. Cela, honorables sénateurs, fait partie intégrante de l'objectif global consistant à simplifier et à moderniser le droit maritime canadien.

Des fonctionnaires de Transports Canada m'ont informé qu'un autre important projet de loi, une Loi sur la marine marchande du Canada modernisée et revitalisée, sera bientôt présenté au Parlement pour servir de compagnon au projet de loi S-17. J'espère que cela aura encore lieu au Sénat.

Quatrièmement, la partie 5 du projet de loi S-17 reproduit mot à mot dans la nouvelle Loi sur la responsabilité en matière maritime les règles de La Haye ainsi que la Loi sur le transport des marchandises par eau qui traite de la responsabilité des propriétaires et des exploitants de navires à l'égard des marchandises endommagées. De plus, un changement important et fort positif a été apporté au projet de loi S-17, à savoir une disposition qui élargit le champ de compétence des tribunaux canadiens pour traiter les réclamations à l'égard des marchandises, notamment de la part des exportateurs et importateurs canadiens et leurs assureurs. Cette mesure améliorer le processus de récupération de coûts pour les Canadiens qui présentent de telles réclamations, tout en constituant un bon débouché pour les avocats canadiens qui connaissent des hauts et des bas dans le domaine maritime.

(1810)

Honorables sénateurs, comme je l'ai indiqué, la partie 4 du projet de loi S-17 établit le champ d'application et les montants de la responsabilité des propriétaires de navires envers les passagers en cas de blessures corporelles ou d'accidents mortels.

Le nouveau régime s'appliquera aux transport national et international de passagers par bateau et, par conséquent, il harmonisera enfin le droit canadien dans ce domaine au droit de la plupart de nos partenaires commerciaux.

Dans la plupart des pays industrialisés effectuant du transport maritime, il y a longtemps que le laisser-faire a fait place à une certaine forme de responsabilité statutaire dans le secteur du transport par eau. La Convention d'Athènes est maintenant le modèle international à suivre en matière de réclamations des passagers.

Au Canada, l'impartition de la responsabilité par les propriétaires et les exploitants de navires, surtout dans le cas des contrats de transport de passagers par eau émis par des transporteurs étrangers desservant le Canada, a été bien davantage la règle que l'exception. S'il est adopté, le projet de loi S-17 empêchera cette pratique. De telles clauses d'exonération de responsabilité ne sont plus reconnues en France, au Royaume-Uni, aux États-Unis et ailleurs. Elles sont généralement absentes des contrats pour les autres moyens de transport ici au Canada, ou sont expressément interdites, comme dans le cas du transport aérien, conformément à la Loi sur le transport aérien.

L'industrie maritime canadienne peut se targuer d'un assez bon bilan en matière de sécurité. Cependant, des accidents peuvent toujours se produire et se produisent parfois. Cela semble donc une bonne chose que le gouvernement agisse enfin pour mettre le droit canadien à jour et l'harmoniser à celui de nos nations soeurs et de nos partenaires commerciaux.

Ce qui est troublant toutefois, honorables sénateurs, c'est que nous ayons attendu si longtemps. Une grande catastrophe survenant sur un paquebot de passagers en eaux canadiennes soulèverait sans aucun doute un tollé de la part de gens réclamant une indemnisation juste et adéquate des victimes n'ayant droit à aucune compensation pour leur perte. Franchement, le risque d'une telle catastrophe augmente depuis qu'on utilise d'immenses traversiers pour véhicules et passagers sur les côtes est et ouest et à cause de la popularité croissante des paquebots de croisière qui transportent maintenant des milliers de passagers dans les eaux côtières canadiennes et près de nos eaux côtières. Je soutiens qu'une saine politique publique exige qu'on résolve ce problème immédiatement et sans plus de délais.

Pourquoi alors le gouvernement a-t-il permis que meure au Feuilleton, en avril 1997, le projet de loi C-59, la Loi sur le transport de passagers par eau, présenté durant la deuxième session de la trente-cinquième législature, qui renfermait exactement les mêmes dispositions que celles de la partie 4 du projet de loi S-17? Ce fut bien déplorable pour ne pas dire risqué et imprudent, voire impudent. Espérons donc que les deux Chambres tireront une leçon de la mauvaise gestion du gouvernement antérieur et qu'elles traiteront ce projet de loi avec tout le sérieux et la célérité qu'il mérite.

Pour sauver du temps, honorables sénateurs, je vous renvoie à ce que j'ai déclaré au Sénat le 21 octobre 1997 sur les retards inexcusables dans la promulgation du projet de loi S-4, une autre loi clé sur la responsabilité en mer, plus précisément sur la responsabilité des armateurs en cas de réclamations maritimes en général, de pollution marine en particulier et sur le droit de limiter cette responsabilité et dans quelle mesure. Cependant, je ne reprendrai pas ce discours ici en entier. On ne peut que se demander pourquoi la politique et les lois maritimes semblent bénéficier de si peu de priorité aux yeux du gouvernement du Canada. Après tout, le Canada est une puissance maritime majeure et possède l'un des plus longs littoraux du monde.

La Convention d'Athènes n'est pas la seule convention maritime internationale que le Canada a approuvée au niveau diplomatique, mais a tardé à inclure dans nos lois nationales. Un autre exemple de ces retards nous est donné par la Convention internationale sur la responsabilité et l'indemnisation pour les dommages liés au transport par mer de substances nocives et potentiellement dangereuses, la Convention SNPD. Pour la plupart, ces conventions portent sur les conséquences économiques et juridiques des accidents ou des blessures en mer et visent à harmoniser le droit et les pratiques internationaux des différents pays de manière à uniformiser le droit et les procédures ainsi que les chances dans le domaine maritime, qui a intrinsèquement un caractère international. Une fois approuvées par notre gouvernement au niveau diplomatique, ces conventions devraient, pour des raisons de courtoisie et pour des raisons pratiques incontestables, être mises en oeuvre avec célérité.

Un grand nombre de Canadiens ordinaires et de fonctionnaires très compétents ont travaillé fort pour en arriver à un consensus international et faire en sorte que ces conventions deviennent des réalités concrètes. Il nous incombe maintenant, en tant que législateurs, de parachever leur bon travail. Ne les laissons pas tomber encore une fois, que ce soit maintenant ou dans l'avenir.

Dans la même veine, je m'en voudrais de ne pas mentionner que les dispositions de la partie 1 du projet de loi S-17, qui traite des accidents mortels, avaient aussi été présentées au Parlement dans le projet de loi C-73, Loi modifiant la Loi sur la marine marchande du Canada et d'autres lois en conséquence, que le gouvernement avait, pour des raisons qui, aux yeux d'un grand nombre, semblaient de nature partisane et politique, laissé mourir au Feuilleton en avril 1997. En effet, il semble que la priorité du gouvernement à l'époque était de tenir des élections générales hâtives, soit le 2 juin 1997, plutôt que de s'employer à d'abord mener à bien son important programme législatif.

Honorables sénateurs, pour autant que je sache, les nouvelles dispositions sur l'industrie maritime renfermées dans le projet de loi S-17 ne sont pas controversées et aucun groupe ne s'y oppose. Par contre, cette mesure législative est très attendue par tous les intervenants de l'industrie maritime au Canada, y compris les propriétaires de navires, les compagnies de transport maritime, l'industrie du fret, l'industrie des passagers, les sociétés d'assurance et ceux qui s'intéressent au droit maritime. Des documents de discussion très complets ont été distribués par les autorités gouvernementales à toutes les parties intéressées et les principaux éléments de ce qui est maintenant le projet de loi S-17 ont déjà reçu un appui généralisé de la part des intervenants et groupes d'intérêt.

Honorables sénateurs, la même chose vaut pour la création, avec le projet de loi S-17, d'un cadre pour une nouvelle loi canadienne concernant la responsabilité en matière maritime qui accompagnera la prochaine version modernisée de la Loi sur la marine marchande du Canada.

Le système législatif actuel, dans lequel des régimes de responsabilité sont établis dans diverses mesures législatives, n'est ni pratique, ni efficace, ni satisfaisant ni certes convivial.

Une loi exclusivement consacrée aux questions présentes et futures de responsabilité en matière maritime aidera les membres de la communauté maritime à mieux comprendre les droits et les devoirs des personnes qui sont ou seront visées par les lois en question. J'oserai dire, honorables sénateurs, qu'une telle consolidation pourra de beaucoup simplifier aussi et peut-être même accélérer le travail de bien des spécialistes canadiens du droit maritime. Cela peut-il être une mauvaise chose?

Je n'ai qu'une réserve à porter à votre attention, honorables sénateurs. Elle concerne la mention, dans les documents préparatoires du ministère, que ce projet de loi contient de prétendues dispositions d'ordre administratif visant à valider rétroactivement certains règlements établis en vertu de la Loi sur la Société canadienne des ports et de la Loi sur le pilotage. Honorables sénateurs, non seulement nous regardons en général de travers toute mesure législative rétroactive, mais il faut aussi se demander pourquoi des règlements non valables ont pu être promulgués. Il est à espérer que ces problèmes seront soulevés et résolus de façon satisfaisante au comité.

Honorables sénateurs, cette réserve mise à part, je n'ai aucune hésitation à recommander l'adoption rapide de ce projet de loi par le Parlement. J'espère sincèrement qu'il ne s'échouera pas sur de hauts-fonds rocheux du genre de ceux qui ont causé la perte des projets de loi C-59 et C-73, en avril 1997.

L'honorable George J. Furey: Honorables sénateurs...

Son Honneur le Président: Honorables sénateurs, je tiens à informer le Sénat que, si le sénateur Furey prend maintenant la parole, son allocution aura pour effet de clore le débat sur la motion de deuxième lecture de ce projet de loi.

Le sénateur Furey: À part quelques critiques assez acerbes que le sénateur a faites sur l'opportunité de la mesure, j'approuve ses observations et je le remercie d'avoir accepté de traiter ce projet de loi le plus rapidement possible. En fait, les questions plutôt techniques que le sénateur Angus a soulevées à la fin de ses observations à l'égard de la rétroactivité seront traitées au comité.

Par conséquent, honorables sénateurs, je vous recommande d'approuver ce projet de loi.

(1820)

Son Honneur le Président: Plaît-il aux sénateurs d'adopter la motion?

Des voix: D'accord.

(La motion est adoptée et le projet de loi est lu une deuxième fois.)

Renvoi au comité

Son Honneur le Président: Honorables sénateurs, quand lirons-nous ce projet de loi une troisième fois?

(Sur la motion du sénateur Furey, le projet de loi est renvoyé au comité sénatorial permanent des transports et des communications.)

La Loi sur la défense nationale

Projet de loi modificatif-Deuxième lecture

L'ordre du jour appelle:

Reprise du débat sur la motion de l'honorable sénateur Pearson, appuyée par l'honorable sénateur Finestone, c.p., tendant à la deuxième lecture du projet de loi S-18, Loi modifiant la Loi sur la défense nationale (non-déploiement de personnes de moins de dix-huit ans sur des théâtres d'hostilités).

L'honorable Michael A. Meighen: Honorables sénateurs, je prends brièvement la parole sur le projet de loi S-18, Loi modifiant la Loi sur la défense nationale, à l'étape de la deuxième lecture.

Je suis désolé que notre collègue, madame le sénateur Pearson, ne soit pas présente actuellement, mais je n'étais pas ici quand elle a présenté cette mesure législative. Je suppose donc que ce qui vaut pour moi vaut aussi pour elle.

Je suis heureux de prendre la parole sur un projet de loi que le gouvernement a jugé bon de présenter par l'intermédiaire du Sénat. Reconnaissant que cette façon de procéder a du bon, j'encourage le gouvernement à agir plus souvent ainsi dans sa grande sagesse.

J'ai lu avec beaucoup d'intérêt l'intervention du sénateur Pearson, que j'ai d'ailleurs félicitée, en son absence, pour la concision et la clarté de son exposé. Je vais essayer de suivre son exemple.

Quand madame le sénateur Pearson a présenté le projet de loi, elle a dit croire que les sénateurs seraient surpris de voir un sénateur comme elle proposer une modification de la Loi sur la défense nationale. Franchement, je ne trouve pas cela surprenant du tout. Elle pourrait toutefois être surprise, de son côté, d'apprendre que je suis d'accord avec à peu près tout ce qu'elle a dit. J'irais même jusqu'à affirmer que tous les sénateurs de ce côté-ci de la Chambre sont d'accord avec moi là-dessus.

Le sénateur Pearson a souligné dans son introduction que l'amendement proposé au Sénat aurait pour effet d'inclure dans la loi les politiques et les pratiques actuelles du ministère de la Défense nationale et garantira que le Canada n'enverra jamais un jeune de moins de 18 ans au combat.

Cet amendement permettra également au Canada de se conformer au tout nouveau protocole facultatif négocié en vertu de la Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant. La convention a été adoptée par les Nations Unies en 1989 et depuis ce temps, elle a été ratifiée par 191 pays.

Le gouvernement du très honorable Brian Mulroney a participé de près à la négociation et à l'élaboration de la convention. Cette dernière a été signée par le premier ministre Mulroney en 1990 et ratifiée par le Parlement en 1991. Je m'en voudrais de ne pas saisir cette occasion pour souligner que, dans ce domaine comme dans bien d'autres, le gouvernement en place poursuit d'importantes initiatives qui ont été prises par ses prédécesseurs.

Comme l'a souligné le sénateur Pearson, le protocole facultatif établira de nouvelles normes internationales prévoyant que les signataires devront fixer à 18 ans l'âge minimum du recrutement, qu'ils devront prendre toutes les mesures possibles pour s'assurer que les membres de leurs forces armées qui sont âgés de moins de 18 ans ne prennent pas part directement aux hostilités et pour accroître à au moins 16 ans l'âge minimum du recrutement des volontaires, déposant une déclaration obligatoire à cet effet au moment de la ratification du protocole facultatif.

En vertu du protocole facultatif, les signataires qui permettront le recrutement de jeunes de moins de 18 ans devront prévoir certaines mesures de protection pour garantir que le recrutement est réellement effectué sur une base volontaire, que les parents de la recrue ont donné leur consentement et qu'on a obtenu une preuve fiable de son âge, ce qui, je ne peux m'empêcher de le souligner, n'a pas été le cas en 1939 et 1940 lorsque bon nombre de Canadiens, dont certains étaient peut-être connus de nos sénateurs, ont sciemment menti sur leur âge pour pouvoir participer à la lutte contre le fascisme. On ne peut certainement pas se permettre de critiquer le motif qui les a poussés à agir. Enfin, les recrues devront être mises au courant de toutes les responsabilités liées au service militaire.

[Français]

Les honorables sénateurs savent sans doute que les Forces armées canadiennes recrutent présentement des personnes de 16 et 17 ans. Cependant, l'enrôlement se fait sur une base strictement volontaire et le consentement des parents ainsi qu'une preuve d'âge sont actuellement requis. De plus, tous les candidats sont informés de leurs devoirs en tant que militaires.

Il est intéressant de noter que, tout comme le Canada, les États-Unis recrutent des soldats de 16 et 17 ans. Cependant, contrairement au Canada, les États-Unis déploient ces jeunes soldats dans les zones de conflit. Au cours des dernières années, des soldats de 17 ans ont été déployés par les États-Unis au cours de la guerre du Golfe, en Somalie et en Bosnie. Il me fait plaisir de noter que les États-Unis ont consenti récemment à mettre fin à leur politique de déploiement de soldats âgés de moins de 18 ans dans les zones de combat.

Le problème de l'utilisation d'enfants dans un rôle militaire actif n'est pas sans importance. Au moment même où je vous parle, des centaines de milliers d'enfants soldats sont déployés dans des conflits armés à travers le monde. Human Rights Watch, une organisation américaine sur les droits de la personne, rapporte que des enfants soldats participent ou ont participé à 33 conflits actuels ou récents dans presque toutes les régions du monde.

[Traduction]

Comme je l'ai dit plus tôt, honorables sénateurs, ce qui se fait au Canada est déjà parfaitement conforme à ce protocole facultatif. Je félicite cependant le gouvernement d'avoir agi pour faire correspondre nos lois à notre pratique.

Nous exhortons le gouvernement à travailler avec détermination à l'ONU pour que ce protocole soit adopté sans tarder par l'Assemblée générale et ensuite signé et ratifié par les États membres.

Honorables sénateurs, il reste encore beaucoup de travail à faire pour que le protocole facultatif entre en vigueur, mais le projet de loi S-18 est une première étape importante et utile. J'invite tous les sénateurs à l'appuyer.

Son Honneur le Président pro tempore: Honorables sénateurs, vous plaît-il d'adopter la motion?

Des voix: D'accord.

(La motion est adoptée et le projet de loi est lu une deuxième fois.)

Renvoi au comité

Son Honneur le Président pro tempore Honorables sénateurs, quand ce projet de loi sera-t-il lu une troisième fois?

(Sur la motion du sénateur Hays, le projet de loi est renvoyé au comité sénatorial permanent des affaires étrangères.)

Projet de loi sur les Instituts de recherche en santé du Canada

Deuxième lecture

L'honorable Sharon Carstairs propose: Que le projet de loi C-13, Loi portant création des Instituts de recherche en santé du Canada, abrogeant la Loi sur le Conseil de recherches médicales et modifiant d'autres lois en conséquence, soit lu pour la deuxième fois.

- Honorables sénateurs, j'ai l'honneur de prendre la parole pour appuyer le projet de loi C-13, qui tend à établir les Instituts de recherche en santé du Canada.

Les chercheurs canadiens en santé jouissent déjà d'une réputation d'excellence dans le monde entier. Nous devons de grandes découvertes en santé à des Canadiens comme Henry Friesen, actuel président du Conseil de recherches médicales, qui a découvert une hormone humaine, la prolactine, qui a une influence sur la fertilité chez les femmes.

(1830)

Les Canadiens sont également à l'avant-garde dans la recherche d'approches innovatrices pour aider la politique et l'administration. Par exemple, des gens de Winnipeg comme Les et Noralou Roos ainsi que Charlyn Black ont mis au point des bases de données qui fournissent aux décideurs une compréhension des besoins des populations en matière de santé ainsi que du rôle des soins de santé comme déterminants de la santé.

Chaque année, les chercheurs canadiens remportent plus de la moitié des subventions offertes aux chercheurs étrangers par les National Institutes of Health des États-Unis.

[Français]

Afin de poursuivre et de soutenir la recherche en santé au Canada, il faut reconnaître que la nature de la recherche moderne en santé évolue, et que nous avons besoin d'un système de recherche en santé qui soit en mesure de comprendre ces nouveaux défis complexes.

[Traduction]

Nous avons besoin de pouvoir nous attaquer aux menaces émergentes et ré-émergentes pour notre santé. Nous devons pouvoir relever des défis aussi variés que les mystères de la santé mentale, aussi difficiles que la mise au point d'antibiotiques pour combattre de nouvelles souches bactériennes, et aussi complexes que l'établissement de l'incidence de la violence familiale sur la santé.

En plus d'étudier les maladies, notre système de recherche en santé doit appuyer l'étude des déterminants sociaux et environnementaux de la santé. Nous devons intégrer nos découvertes à d'autres recherches sur les nombreux facteurs qui affectent la santé des collectivités et des populations.

Nous devons, honorables sénateurs, pouvoir tirer pleinement profit des révolutions de la technologie génétique qui ouvre de nouvelles avenues pour traiter les maladies. Nous devons être capables de faire usage des méthodologies innovatrices et de la recherche en services de santé qui permettent de mieux évaluer dans quelle mesure nous fournissons de bons services aux Canadiens au moyen de notre système de santé.

Tels sont les défis qui définiront de quelle façon nous allons favoriser, protéger et améliorer la santé des Canadiens au cours des prochaines décennies.

Honorables sénateurs, le projet de loi C-13 créera les Instituts de recherche en santé du Canada afin de relever ces défis. Il est question d'une approche fondamentalement différente face à la recherche en santé, grâce à la création de ces instituts qui imprimeront une orientation stratégique à la recherche dans des domaines thématiques, comme les maladies chroniques ou le vieillissement.

Les instituts permettront l'accès à de nouveaux outils qui faciliteront la recherche en santé, mais qui ne sont pas disponibles dans la structure actuelle de l'organisme subventionnaire, le Conseil de recherches médicales. Les IRSC assureront la recherche dans un domaine scientifique précis afin de promouvoir l'excellence et les résultats. Les instituts permettront de lier et d'intégrer la recherche effectuée dans diverses disciplines, notamment en mettant l'accent sur un problème de santé particulier. Il sera possible aux IRSC de cibler les besoins nationaux en matière de santé, de faire ressortir les problèmes criants et d'élaborer des stratégies pour lier ces priorités avec les activités de recherche.

Grâce aux conseils consultatifs, les instituts donneront au public et à d'autres intervenants l'occasion de participer directement à l'établissement des priorités de recherche, et ils faciliteront les partenariats concernant les initiatives stratégiques entre le secteur public, les organismes de bienfaisance du domaine de la santé et le secteur privé.

Honorables sénateurs, comme le décrit le projet de loi,

L'IRSC a pour mission d'exceller, selon les normes internationales reconnues de l'excellence scientifique, dans la création de nouvelles connaissances et leur application en vue d'améliorer la santé de la population canadienne, d'offrir de meilleurs produits et services de santé et de renforcer le système de santé au Canada.

[Français]

Cet objectif contient une phrase clé, et des normes nationales reconnues en matière d'excellence scientifique. Sous le régime des IRSC, tout comme en vertu du système actuel, l'atteinte de ces normes se fera par le truchement du processus d'examen par les pairs. Toutes les grandes organisations extra-muros de recherche en santé au monde ont recours à l'examen par les pairs.

Les IRSC miseront sur la réputation d'excellence dont jouit déjà le système d'examen par les pairs en vigueur au Canada. Le conseil d'administration provisoire des IRSC étudie la possibilité d'élargir le processus d'examen par les pairs en vue de permettre la participation de membres non spécialisés aux comités d'examen par les pairs. Le conseil d'administration devra également favoriser l'innovation et la prise de risques en ce qui a trait à l'examen par les pairs.

[Traduction]

Ainsi, les IRSC continueront d'améliorer la réputation d'excellence du Canada dans la recherche en santé.

Honorables sénateurs, c'est bien beau l'excellence dans la recherche en santé, mais si les résultats de cette recherche ne sont pas appliqués, la question de l'excellence devient alors purement théorique. Les découvertes issues de la recherche peuvent se traduire en de meilleurs soins de santé, elles peuvent aider à prévenir, à traiter et à guérir des maladies. Elles peuvent se traduire en un système de soins de santé plus efficace qui dispense des services dans l'intérêt de tous les Canadiens.

Au Canada, les chercheurs ont déjà réussi à créer un milieu de recherche en santé qui soit stimulant. Michael Smith a remporté le prix Nobel pour nous avoir aidés à comprendre les aspects génétiques de certaines maladies. Leigh Field a découvert deux gènes qui accroissent la vulnérabilité de certains individus au diabète juvénile, la forme la plus grave de cette maladie. Salim Yusuf a dirigé une étude qui a mené à la découverte d'un médicament antihypertenseur qui s'appelle le Ramipril et qui améliore considérablement la qualité de vie des patients ayant fait une crise cardiaque tout en réduisant les risques qu'ils en fassent une autre. Ces découvertes pourraient empêcher, chaque année, un million de décès prématurés, de crises cardiaques et d'accidents cérébrovasculaires.

L'investissement dans les IRSC est un investissement dans les nouvelles connaissances concernant notre santé et notre système de soins, connaissances dont tous les Canadiens profiteront. Cet investissement appuie la recherche dans les milieux universitaires, mais nous profiterons tous des produits issus de cet investissement.

Dans le cycle d'innovation qui caractérise la recherche en santé, les résultats de la recherche peuvent aussi générer de nouveaux efforts de recherche. Par exemple, le service de recherche de l'Hospital for Sick Children de Toronto a obtenu son financement initial directement à la suite de la découverte, il y a plusieurs décennies, du Pablum qui a aidé les enfants du Canada et du monde entier à bien se développer et à grandir en santé.

Un défi capital dans l'établissement des IRSC a consisté à faire en sorte que des programmes soient prêts pour leur première année d'existence. Les programmes sont maintenant en place et ils sont administrés par les conseils subventionnaires existants, en attendant que les IRSC soient officiellement créés. Les demandes ont déjà commencé à arriver, et certaines sommes ont déjà été accordées. La réponse à ces programmes de transition a été très encourageante, montrant qu'il existe un énorme potentiel pour ce qui est d'accroître la capacité et la volonté des chercheurs de travailler à des projets de recherche en collaboration avec les IRSC. Le succès de ces programmes montre à quel point tout le milieu de la recherche est enthousiaste par rapport aux possibilités des IRSC et est prêt à relever le défi qui consiste à mener des recherches en santé d'une manière novatrice, plus intégrée et davantage ciblée.

Honorables sénateurs, l'une des plus importantes décisions qu'aura à prendre le ministre de la Santé au cours des semaines à venir sera de déterminer qui dirigera cette nouvelle organisation. Pour le nouveau président et le nouveau conseil d'administration, il faut des individus du plus haut calibre, capables d'imposer le respect à tous ceux qui jouent un rôle dans les IRSC. On a activement cherché des candidats pour ces postes, au sein non seulement des intervenants, mais également du public général, parce que les IRSC appartiennent à tous les Canadiens.

[Français]

Lorsque le président et les membres du conseil d'administration seront nommés, une de leurs premières tâches sera de déterminer quels seront les premiers instituts des IRSC. Cela n'est pas une mince tâche. Les instituts doivent répondre aux besoins de la population canadienne dans le domaine de la santé. Ils doivent avoir un grand rayon d'action et la capacité nécessaire pour tendre à l'excellence en matière de recherche et, enfin, s'appuyer sur diverses approches en ce qui a trait à la recherche en santé.

[Traduction]

On ne partira pas de zéro pour former le nouveau conseil d'administration. On tirera profit des esprits les plus brillants de la communauté de la recherche en santé et de l'opinion du conseil d'administration provisoire, qui s'est concentré sur la manière dont les intérêts de la communauté de la recherche en santé dans son ensemble seraient le mieux servis.

Cela dit, honorables sénateurs, je crois qu'il revient à chacun d'entre nous, au cours des délibérations sur ce projet de loi, de donner nos meilleurs conseils quant à l'orientation future de ces nouveaux instituts de recherche. À mon avis, quatre domaines de la recherche en santé ont été gravement négligés, par le passé, au Canada.

(1840)

Honorables sénateurs, un Canadien sur cinq souffrira de maladie mentale au cours de sa vie. Il peut s'agir d'une dépression relativement légère, facilement traitée, si on s'en occupe; ou bien de la manie-dépression ou de la schizophrénie, dont les effets peuvent être durables. On connaît l'impact dévastateur qu'ont ces maladies sur les individus et leurs familles, mais il faut également tenir compte des énormes coûts sociaux. Par exemple, bon nombre de sans-abri qui hantent notre société souffrent en fait d'une maladie mentale. On a encore fait peu de recherches chez nous sur les causes, les incidences et les effets de la maladie mentale. Les nouveaux IRSC nous offrent une excellente occasion à ne pas rater.

Autre préoccupation en matière de santé, le vieillissement de la population. Honorables sénateurs, notre situation démographique change. Selon des estimations de 1998 de Statistique Canada, il y aurait plus de 400 000 personnes âgées de plus de 85 ans. En 2041, on prévoit qu'il y aura plus de 1,6 million de personnes âgées de 85 ans au Canada. On sait que beaucoup d'entre eux souffriront de la maladie d'Alzheimer, de démence ou d'autres maladies dégénératives. Le vieillissement de la population exercera des pressions sur notre système de soins de santé en matière de lits de soins palliatifs, de lits de soins aigus, de foyers de soins personnels et de services de soins à domicile. La recherche est nécessaire non seulement pour trouver un remède pour ces maladies, mais également pour nous aider à planifier en fonction de ces énormes changements.

Personne dans cette Chambre, je le sais, ne voudrait que nous négligions l'importante question qu'est la santé des autochtones. Pour vous donner une statistique, honorables sénateurs : le nombre de diabétiques est trois fois plus élevé parmi les hommes autochtones et cinq fois plus élevé parmi les femmes autochtones. Une forme grave du diabète frappe les autochtones et ceci est attribuable dans une certaine mesure à la précarité des logements et au manque d'attention médicale. Un grand nombre d'autochtones qui souffrent du diabète ont une insuffisance rénale. Plusieurs nécessitent d'être amputés d'un membre. C'est une situation intolérable à laquelle nous devons absolument remédier.

Honorables sénateurs, en tant que femme, je ne rendrais pas justice à mon sexe si je ne mentionnais pas le fait que beaucoup de femmes s'inquiètent de notre santé. Les maladies cardiovasculaires, par exemple, sont la première cause de décès chez les femmes au Canada. Pourtant les femmes subissent moins de tests et sont moins souvent traitées pour des maladies cardiaques que les hommes - à moins, bien sûr, qu'elles aient la chance d'avoir accès au docteur Keon.

Nous savons aussi que les femmes infectées par le VIH le sont de diverses façons. Les femmes sont les principales soignantes rémunérées et non rémunérées de notre société, mais on comprend mal les conséquences pour leur santé. Il ne fait aucun doute dans mon esprit que, si ma mère est morte sept mois après mon père, c'est parce qu'elle a passé les dix années qui ont précédé sa mort à prendre soin de mon père.

Nous devons examiner s'il y a lieu de créer un institut sur la santé de la femme. Est-ce une bonne décision? Une autre option serait d'avoir dans chaque institut une analyse comparative entre les sexes qui ferait le point sur la condition respective des hommes et des femmes.

Nous entendons souvent parler au Sénat du cancer du sein et, récemment, le sénateur St. Germain a fait une intervention particulièrement éloquente sur ce sujet. Cependant, nous entendons moins souvent parler du cancer de la prostate. Pourtant, si vous interrogez les sénateurs de sexe masculin et les conjoints des sénateurs de sexe féminin, vous constaterez que l'incidence de ce cancer est en fait supérieure à celle du cancer du sein parce qu'un homme sur huit est atteint du cancer de la prostate tandis que seulement une femme sur neuf souffre du cancer du sein. Malgré cela, très peu d'argent est consacré à la recherche sur le cancer de la prostate au Canada. Je pense que ce genre d'analyse comparative entre les sexes sera très utile pour l'ensemble des Instituts de recherche sur la santé et pas seulement un. Elle permettra de s'assurer que l'étude des maladies couvrira tous les aspects, y compris le sexe des patients.

Honorables sénateurs, les IRSC sont encore au stade de la planification, mais déjà de nouvelles relations historiques et de nouveaux partenariats s'établissent. Des conférences ont lieu entre divers groupements et organismes de recherche sur la santé partout au pays. De nouveaux liens relieront des chercheurs de disciplines et de régions différentes sous les auspices des IRSC qui seront les traits d'union entre les donneurs de fonds pour la recherche et les pratiquants de la recherche.

Le résultat sera, j'en suis certaine, honorables sénateurs, un meilleur régime de soins de santé et une meilleure santé pour les Canadiens. Honorables sénateurs, je vous engage à appuyer le projet de loi C-13.

Des voix: Bravo!

L'honorable Wilbert J. Keon: Honorables sénateurs, c'est avec beaucoup d'enthousiasme que je participe aujourd'hui au débat sur le projet de loi C-13. La vision, les valeurs et les principes sur lesquels ce projet de loi est fondé jettent les bases propices à la mise au point d'une nouvelle structure nationale de recherche pouvant répondre aux réalités changeantes et aux besoins de la population canadienne.

L'établissement des Instituts de recherche en santé du Canada revêt une importance particulière pour le pays et offre bon nombre de possibilités qui pourraient permettre de miser sur les réalisations d'excellence enregistrées dans le domaine de la recherche en santé. La création des instituts de recherche permettra de transformer la base et la structure des opérations de recherche au pays.

Ces instituts de recherche en santé pourront compter sur un vaste éventail de partenariats forts et coopératifs. Ces partenariats seront en grande partie établis grâce à la mise sur pied d'un grand nombre d'instituts qui constitueront des regroupements d'autorités scientifiques au pays et serviront de mécanismes permettant de relier les organisme de bienfaisance dans le domaine de la santé au niveau national et provincial, les autres organismes bénévoles, le secteur privé, les services provinciaux de santé et tous les intervenants dans le domaine des soins de santé.

En effet, les instituts permettront de pousser l'appui à la recherche en santé au-delà des limites des organismes subventionnaires habituels grâce à un système de partenariats et d'alliances qui offrira tout un éventail de nouvelles possibilités, des possibilités qui donneront une structure au programme de recherche du Canada et qui permettront d'accroître et d'étendre l'importance des soins de santé et de la recherche dans le domaine des services de santé, des possibilités qui permettront d'intégrer les activités de tous les chercheurs canadiens qui se penchent sur des buts communs, des possibilités qui permettront d'attirer des fonds du secteur privé pour la recherche et d'accélérer la commercialisation des résultats de la recherche qui mènent à de meilleurs avantages au niveau de la santé, de l'économie et des avantages sociaux pour tous les Canadiens, des possibilités qui accélèreront l'identification de nouvelles découvertes efficaces dans le domaine de la santé, de nouveaux traitements et de nouvelles méthodes améliorant ainsi le niveau de santé des Canadiens, des possibilités qui ouvriront de nouvelles portes afin de transformer les résultats des recherches en soins de santé grâce à l'amélioration des services de santé, des produits connexes et du régime de santé lui-même, des possibilités qui permettront, honorables collègues, d'accroître la compétitivité du Canada dans une économie globale, générant ainsi des possibilités économiques imprévues, tout en faisant la promotion de l'excellence de la recherche en santé au Canada sur la scène internationale.

La contribution du gouvernement fédéral au financement de l'excellence en recherche dans le domaine de la santé dans les hôpitaux, les universités, les centres et les établissements de recherche en santé canadiens sera effectivement doublée. Cette fois-ci, nous ne nous contenterons pas seulement d'accroître notre contribution. Les fonds seront versés à un système de recherche en santé national bien conçu et intégré qui maximisera nos ressources humaines, intellectuelles et matérielles. Ce système créera une base de connaissances qui servira à l'élaboration d'une politique nationale en matière de santé et d'un excellent régime de soins de santé pour maintenir les Canadiens en santé.

Honorables sénateurs, le projet de loi C-13 prévoit l'abolition de la Loi sur le Conseil de recherches médicales, qui existe depuis 40 ans. J'ai travaillé pour ce conseil pendant 25 ans et, bien que je sois désolé de le voir disparaître, je suis vraiment enthousiasmé par les nouveaux instituts qui seront créés. Le fait que le conseil appuie entièrement cette initiative traduit très bien la confiance qu'il a à l'égard de la vision et de la structure proposée des Instituts de recherche en santé du Canada.

(1850)

Il a été merveilleux de voir les milieux médicaux et scientifiques, le milieu des soins de santé, les universités et les industries travailler ensemble à la concrétisation de ces instituts.

Le concept des instituts a été proposé en 1998 par un groupe de travail représentant divers intérêts dans le domaine de la recherche en santé. L'intention d'aller de l'avant avec cette proposition a été annoncée dans le budget de 1999, qui prévoyait le versement de 225 millions de dollars, en plus des fonds accordés à l'actuel Conseil de recherches médicales, d'ici 2001-2002 pour les nouveaux Instituts de recherche en santé du Canada.

Le projet de loi C-13 a été déposé par le ministre de la Santé et a été lu pour la première fois à la Chambre le 4 novembre 1999.

Les IRSC vont prendre la relève du CRM, tout en adoptant une optique plus large. Il faut donc s'attendre à ce que la loi pour les IRSC soit plus complète que celle qui existe pour le CRM. La plus grande partie du projet de loi C-13 porte sur le transfert des ressources humaines, des biens, des responsabilités et des procédures judiciaires du CRM aux IRSC. Pour ce qui est du fonctionnement véritable des IRSC, le projet de loi propose qu'il y ait plusieurs pouvoirs et fonctions de plus que pour son prédécesseur. Il faut préciser que le CRM a, en fait, déjà commencé à exercer de lui-même certains de ces pouvoirs et fonctions supplémentaires; toutefois, les autres pouvoirs et fonctions distingueront les IRSC du CRM. Ces fonctions incluraient le fait de travailler avec les provinces ainsi qu'avec des gens et organisations du Canada et de l'étranger et de tenir le gouvernement et le public informés des questions de santé et de la recherche en santé. De plus, le gouverneur en conseil pourrait assigner aux IRSC toute autre fonction nécessaire pour que cet organisme atteigne son objectif.

Des préoccupations ont été émises au sujet des coûts administratifs des IRSC. Les coûts administratifs sont les coûts de fonctionnement de base de l'organisation. Ils comprennent le conseil d'administration, le bureau du président, le coût du secrétariat central, y compris le coût des systèmes financier et d'information et les loyers, ainsi que le coût de la gestion et de l'administration des programmes de recherche. Au Conseil de recherches médicales, ces coûts ont été maintenus en-dessous de 5 p. 100 du budget total. Dans d'autres agences, telles que le Conseil de recherches en sciences humaines, ces coûts sont d'environ 8 p. 100.

Les IRSC visent à constituer un organisme de transformation, et certains investissements supplémentaires en gestion stratégique seront nécessaires pour appuyer cette transformation. De nouveaux instituts sont créés et se concentreront sur les besoins des Canadiens en matière de santé. Ces instituts seront dotés de directeurs scientifiques et d'un personnel restreint. Ils mettront également l'accent sur la transformation de nouvelles connaissances en de nouvelles applications cliniques, de nouveaux services et de nouveaux produits en matière de santé. Ainsi, chaque dollar investi donnera de bien meilleurs résultats.

Il existe deux garanties que toutes les dépenses seront limitées au minimum. D'abord, le milieu de la recherche lui-même est très vigilant, et il l'a prouvé par le passé. Ensuite, les budgets des IRSC seront examinés par le comité permanent chaque année.

On a également soulevé des préoccupations au sujet du processus de nomination. Le processus de nomination du président et du conseil d'administration des IRSC a été remarquable par sa transparence et par la participation du public canadien. Selon le processus traditionnel, les candidats éventuels sont présentés et choisis à la fois par le gouvernement. Cependant, dans le cas des IRSC, le public a pu présenter des candidats appropriés pour diriger les IRSC.

En décembre 1999, un appel public de candidatures a été lancé à l'égard du président et du conseil d'administration. Les répondants ont été invités à proposer des candidats en présentant leur curriculum vitae ou des demandes sur Internet. La réaction à cet appel de propositions a été formidable. Plus de 450 candidatures de grande qualité ont été reçues pour ces postes.

À la suite des mises en candidature, des comités de sélection ont été créés pour réduire considérablement la liste des candidats à la présidence et au conseil d'administration. Les comités étaient composés de chefs de file exceptionnels dans le secteur de la recherche, de présidents d'université, de représentants d'organismes bénévoles et de leaders internationaux en matière de recherche. En substance, les comités ont certifié que les candidats qui restaient répondraient aux critères de base pour occuper les postes énoncés dans le projet de loi C-13.

Les recommandations de ces comités ont été transmises au gouvernement, qui prendra les décisions finales à la proclamation de la loi sur les IRSC.

Il s'agit là d'un processus de nomination unique qui diffère considérablement de celui qui s'applique à d'autres organismes fédéraux. Il a assuré la participation des Canadiens et a garanti les meilleures candidatures pour les postes dans les instituts de recherche canadiens.

Avant de terminer, honorables sénateurs, je tiens à profiter de l'occasion pour souligner le solide leadership du docteur Henry Friesen, président du Conseil d'administration et président du CRM. J'étais en compagnie du docteur Friesen à l'occasion de la réunion du Conseil de recherches médicales dont nous avons été les hôtes au Heart Institute le soir où l'idée a vu le jour et a été présentée au ministre Rock. À bien des égards, la clairvoyance et l'énergie du docteur Friesen ont contribué à concrétiser la vision de la création d'un nouvel institut national qui transformera, modernisera et reliera tous les organismes de recherche en matière de santé au pays. Je souligne qu'il a consenti des efforts absolument inlassables et que son génie s'est manifesté pendant tout le processus.

Honorables sénateurs, c'est avec beaucoup de conviction et un grand sentiment de fierté que j'appuie le projet de loi C-13 et que je vous prie de lui accorder votre soutien.

Son Honneur le Président pro tempore: Vous plaît-il, honorables sénateurs, d'adopter la motion?

Des voix: D'accord.

(La motion est adoptée et le projet de loi est lu une deuxième fois.)

Renvoi au comité

Son Honneur le Président pro tempore Honorables sénateurs, quand lirons-nous ce projet de loi une troisième fois?

(Sur la motion du sénateur Carstairs, le projet de loi est renvoyé au comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie.)

Projet de loi sur les paiements versés en remplacement d'impôts

Deuxième lecture-Ajournement du débat

L'honorable Wilfred P. Moore propose: Que le projet de loi C-10, Loi modifiant la Loi sur les subventions aux municipalités, soit lu une deuxième fois.

- Honorables sénateurs, j'interviens ce soir à la deuxième lecture du projet de loi C-10, dont le titre abrégé est Loi sur les paiements versés en remplacement d'impôts. En ma qualité d'ancien politicien municipal, je suis heureux de parrainer cette mesure législative au nom du gouvernement.

Le projet de loi C-10 donne suite à un besoin qui existe depuis longtemps de modifier le programme d'indemnisation des administrations municipales pour les services dispensés aux immeubles fédéraux. C'est un projet de loi de saine gestion publique qui renforcera la liens entre le gouvernement fédéral et près de 2000 collectivités locales disséminées partout au Canada. J'espère donc que les honorables sénateurs vont appuyer ce projet de loi à l'unanimité.

Nous savons tous que le gouvernement fédéral exploite un très grand nombre d'installations fort diversifiées dans tout le pays. Les édifices du Parlement sont peut-être les plus connues, mais il y en a bien d'autres. Le gouvernement du Canada possède des immeubles de bureaux dans les capitales provinciales et territoriales et d'autres municipalités de tout le Canada.

Son Honneur le Président pro tempore: Sénateur Moore, je suis désolée de vous interrompre. Il est maintenant 19 heures.

Vous plaît-il, honorable sénateurs, que je ne tienne pas compte de l'heure pendant encore une heure?

Des voix: D'accord.

Le sénateur Moore: Le gouvernement du Canada exploite également des quais, des docks, des aéroports, des pénitenciers, des musées, des centres d'interprétation de la nature dans les parcs nationaux et des installations récréatives. Le gouvernement du Canada s'occupe également d'établissements de défense, de palais de justice, de sites historiques et de bien d'autres choses. Pratiquement toutes ces installations exercent une demande sur l'infrastructure municipale, qu'il s'agisse des services d'adduction d'eau et d'égouts, de l'entretien des routes, de l'élimination des déchets, du transport public ou d'autres services. Le gouvernement du Canada a l'obligation morale de payer une part raisonnable des coûts de ces services pour s'assurer que les installations fédérales sont un atout pour la collectivité plutôt qu'un fardeau.

(1900)

Pourtant, les honorables sénateurs savent, sans aucun doute, que le gouvernement du Canada n'est pas assujetti aux impôts locaux aux termes de l'article 125 de la Loi constitutionnelle de 1867. Pour protéger cet important principe constitutionnel tout en payant sa juste part des coûts des services locaux, depuis 50 ans, le gouvernement fédéral verse des subventions en remplacement d'impôts.

Le programme est administré par le ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux et il fonctionne très bien depuis de nombreuses années, dans l'intérêt des municipalités et du gouvernement fédéral lui-même. Les paiements versés aux municipalités en remplacement d'impôts dépassent maintenant 375 millions de dollars par année. Cet argent aide les collectivités locales à maintenir ou à améliorer leurs services et à soutenir le développement économique. Il apporte une présence fédérale tangible et influence les collectivités qui le reçoivent.

Cependant, comme c'est le cas pour tous les bons programmes, il y a lieu de les améliorer. Beaucoup de changements de grande envergure ont été apportés dans les régimes de fiscalité municipale au cours des 20 dernières années, des changements qui ont donné lieu à des hausses importantes des paiements versés en remplacement d'impôts pour les propriétés fédérales. Le gouvernement a l'obligation de payer sa part du coût des services municipaux, mais il doit également protéger les intérêts généraux des contribuables fédéraux en évitant les coûts excessifs de programmes.

Compte tenu de cela, honorables sénateurs, je crois que le projet de loi C-10 réussit à établir un excellent équilibre de justice, d'équité et de prévisibilité dans la gestion des paiements fédéraux versés en remplacement d'impôts. Il n'a pas pour but de bouleverser l'approche existante, mais plutôt de bâtir sur cette approche pour le nouveau millénaire.

Je vais expliquer rapidement les éléments clés du projet de loi C-10 qui vise à faire en sorte que les paiements fédéraux versés en remplacement d'impôts ressemblent autant que possible aux impôts perçus auprès des propriétaires fonciers privés tout en reconnaissant l'exemption constitutionnelle du gouvernement à l'égard de la fiscalité locale.

L'impact le plus évident du projet de loi C-10 résidera peut-être dans le changement du nom de la loi et du programme lui-même. À l'avenir, nous parlerons de «paiements versés en remplacement d'impôts» au lieu de «subventions tenant lieu d'impôt foncier». Il ne s'agit pas simplement d'un changement superficiel, honorables sénateurs. Cela laisse supposer une relation plus explicite et plus respectueuse entre les deux paliers de gouvernement et indique que le gouvernement du Canada accepte les mêmes responsabilités que les autres propriétaires fonciers. Ce changement d'appellation est souligné par une disposition de bonne volonté dans le projet de loi C-10 qui énonce l'engagement du gouvernement à assurer une administration juste et équitable des paiements fédéraux versés en remplacement d'impôts.

Parmi les modifications importantes apportées à la loi, je mentionne l'exigence pour le gouvernement du Canada de payer un montant supplémentaire à une municipalité quand le versement d'un paiement est indûment retardé. Cela incitera les ministères et les organismes fédéraux à respecter les échéanciers de facturation établis localement, ce qui assurera un traitement plus équitable des municipalités. Le ministre des Travaux publics et des Services gouvernementaux aura seul le pouvoir de décider si le versement d'un paiement est en retard, et il a déjà fait savoir qu'il veillera à ce que les propriétaires fonciers fédéraux observent un degré de conformité élevé aux règlements municipaux.

Le projet de loi C-10 améliorera l'équité du processus en établissant en loi un conseil consultatif en cas de différend, grâce auquel les municipalités pourront contester les décisions fédérales de verser des paiements en remplacement d'impôts. La Fédération canadienne des municipalités et les autorités évaluatrices municipales seront consultées au sujet de la formation du conseil.

Honorables sénateurs, j'ai le plaisir de dire que le projet de loi C-10 s'attaque aussi à la question des impôts impayés par les locataires de propriétés fédérales. Le projet de loi confère un nouveau pouvoir discrétionnaire permettant au ministre des Travaux publics et des Services gouvernementaux de verser des paiements en remplacement d'impôts pour toute propriété occupée par un locataire lorsque le ministre est convaincu que la municipalité a déployé des efforts raisonnables pour percevoir les impôts du locataire.

Une autre modification importante est la définition plus large du terme «immeuble» que renferme le projet de loi C-10. Cela signifie qu'à l'avenir, un parc de stationnement, une piscine extérieure et un terrain de golf, par exemple, qui ne sont actuellement pas visés par la loi, justifieront le versement de paiements.

Ce projet de loi garantit également aux gouvernements des Premières nations un accès égal aux paiements fédéraux versés en remplacement d'impôts, au même titre que les autres autorités d'imposition. À cette fin, les modifications prévues dans le projet de loi C-10 élimineront certains obstacles qui limitent la capacité des Premières nations de bénéficier de ces paiements tandis qu'elles aspirent à plus d'indépendance financière.

Les honorables sénateurs devraient également savoir que le gouvernement du Canada apportera au programme d'allocation d'assistance municipale des modifications administratives qui ne font pas partie du projet de loi C-10. Par exemple, un conseil consultatif sera formé pour conseiller le ministre des Travaux publics et des Services gouvernementaux sur les questions administratives et politiques ayant trait à la gestion des paiements versés en remplacement d'impôts.

En outre, Travaux publics et Services gouvernementaux a demandé à des associations nationales d'évaluation professionnelle de rédiger les meilleures pratiques à observer à l'égard de types inhabituels de propriétés fédérales, telles que des pénitenciers, des aéroports, des installations militaires et des parcs nationaux. L'objectif est de réduire le nombre de différends concernant l'évaluation de ces propriétés et de garantir un traitement uniforme de propriétés similaires partout au Canada.

Honorables sénateurs, le projet de loi C-10 confirme simplement que le gouvernement du Canada respecte les normes établies à l'intention d'autres propriétaires, qu'il apprécie les services qu'il reçoit des gouvernements municipaux et qu'il s'est engagé à être un propriétaire responsable et un membre de la collectivité conscient de ses obligations.

J'ai mentionné au début de mon intervention que le projet de loi C-10 répond à un besoin de longue date d'effectuer une réforme du programme et des dispositions législatives sur les subventions tenant lieu d'impôts fonciers. En fait, le projet de loi C-10 est l'aboutissement de plusieurs années d'étude et de discussions. Un bon nombre des dispositions ont été proposées par un comité technique mixte formé de représentants de la Fédération canadienne des municipalités, du Secrétariat du Conseil du Trésor et de Travaux publics et Services gouvernementaux Canada. Le comité a été créé en 1995 et a rédigé deux rapports.

D'autres suggestions ont été formulées par des dirigeants municipaux, des évaluateurs professionnels et d'autres intervenants qui ont rencontré le ministre des Travaux publics et des Services gouvernementaux dans le cadre d'une série de 11 tables rondes tenues à l'été 1998. Ces rencontres ont eu lieu dans des grands centres partout au Canada. À chaque endroit, le ministre s'est fait dire que le programme des subventions aux municipalités était d'une importance cruciale pour les collectivités locales, que ce programme renforçait le lien entre le gouvernement du Canada et les municipalités et que celui-ci pouvait et devait être renforcé.

Au nom des municipalités qui dépendent de ce programme, et dans l'intérêt de la justice, l'équité et la prévisibilité, j'invite les honorables sénateurs à écouter ce message aujourd'hui et à appuyer le projet de loi C-10.

(Sur la motion du sénateur Atkins, au nom du sénateur Grimard, le débat est ajourné.)

La loi canadienne sur les sociétés par actions La loi canadienne sur les coopératives

Projet de loi modificatif-Deuxième lecture-Suite du débat

L'ordre du jour appelle:

Reprise du débat sur la motion de l'honorable sénateur Kirby, appuyée par l'honorable sénateur Cook, tendant à la deuxième lecture du projet de loi S-19, Loi modifiant la Loi canadienne sur les sociétés par actions et la Loi canadienne sur les coopératives, ainsi que d'autres lois en conséquence.

L'honorable Dan Hays (leader adjoint du gouvernement): Honorables sénateurs, je sais que le sénateur Wilson souhaite prendre la parole relativement à ce point. Toutefois, je constate que le sénateur Tkachuk est le sénateur d'en face qui doit officiellement discuter de ce projet de loi et, à ce titre, il a droit à un temps de parole de 45 minutes. Je demande aux honorables sénateurs la permission que ce temps de parole soit réservé au sénateur Tkachuk, même si le sénateur Wilson va maintenant prendre la parole relativement à cette mesure.

Son Honneur le Président pro tempore: Permission accordée, honorables sénateurs?

Des voix: D'accord.

(1910)

L'honorable Lois M. Wilson: Honorables sénateurs, je veux parler brièvement du projet de loi S-19, et plus particulièrement de l'alinéa 137(5)b.1). Je m'intéresse à cette question parce que nous sommes de plus en plus sensibilisés au fait que le Canada doit examiner attentivement les relations entre, d'une part, les investissements et les responsabilités sociales des entreprises, particulièrement à l'échelle internationale, et d'autre part, le rôle des actionnaires des sociétés. Le projet de loi tel qu'il est amendé constitue une nette amélioration par rapport à son prédécesseur, et je l'appuie. Il permet aux actionnaires de communiquer plus librement entre eux et avec les sociétés et il les encourage à le faire. Les droits des actionnaires s'en trouvent grandement accrus.

J'ai toutefois certaines réserves, même si je me réjouis de l'amendement qui propose d'obliger une entreprise à diffuser les propositions d'actionnaires et de modifier la loi de manière à ne pas restreindre les motifs permettant à une entreprise d'exclure la proposition d'un actionnaire.

Honorables sénateurs, je pense que le projet de loi S-19 pourrait nuire à certains petits actionnaires qui pourraient vouloir soulever la question de la responsabilité de l'entreprise. Par exemple, la société Christian Brothers Investment Services, Inc., de New York, appuie, comme moi, l'orientation principale du projet de loi, mais déclare ceci:

Le dossier de la société Talisman Energy Inc. en ce qui concerne le respect des droits de la personne au Soudan est un problème qui peut avoir des répercussions financières sur nous, à titre d'actionnaires, et il y a donc lieu de s'inquiéter de cette façon de faire [...] Sachez que nos investisseurs hésiteraient beaucoup à investir au Canada s'ils n'avaient pas l'assurance qu'il existe un système protégeant leurs droits, à titre d'actionnaires, d'exprimer leurs inquiétudes à la direction de la société.

La société Talisman Energy a pourtant refusé de faire circuler une proposition, en 1999, sous prétexte qu'elle était soumise pour servir des fins d'ordre politique, religieux, social ou analogue.

À mon avis, on fait erreur en maintenant la disposition qui permet à la société de se soustraire à sa responsabilité sociale et en n'établissant pas un droit d'appel administratif. Les actionnaires qui appartiennent à une petite minorité et qui ont peut-être de véritables intérêts et préoccupations pouvant parfaitement faire l'objet d'une proposition d'actionnaire, mais dont les propositions ont été exclues, ne disposeront probablement pas des ressources nécessaires pour contester leur exclusion devant les tribunaux. L'ajout du segment de phrase «sauf si son auteur établit qu'elle est liée de façon importante aux activités commerciales ou aux affaires internes de la société» à la fin de la disposition actuelle, qui permet à la société de se soustraire à sa responsabilité sociale, n'est positif que s'il est établi clairement que c'est à la société qu'il incombe d'abord de justifier l'exclusion. Autrement, la société détient tous les pouvoirs, et l'actionnaire est à sa merci.

En outre, si on maintient la disposition qui permet à une société de se soustraire à sa responsabilité sociale, il faut supprimer les exigences quant à la possession d'actions et à la durée. Autrement, les petits actionnaires seront soumis à une double épreuve lorsqu'ils voudront présenter des propositions d'actionnaires. Si la responsabilité sociale est exclue, il convient de réduire au minimum ces exigences.

Honorables sénateurs, on a fait beaucoup d'efforts pour répondre à ceux qui craignaient qu'un processus plus ouvert donne lieu à des abus de la part des actionnaires, mais il faut revoir ces préoccupations dans l'intérêt des petits actionnaires responsables. Selon des documents obtenus d'Industrie Canada grâce à la Loi sur l'accès à l'information, bon nombre de groupes d'investisseurs plus petits, mais parfaitement responsables socialement, ont approuvé le fait d'éliminer la possibilité de se soustraire à la responsabilité sociale. De grandes sociétés se sont opposées à l'élimination, notamment la coalition pour la réforme de la LCSA, la Compagnie pétrolière impériale Ltée, Nova Corporation, Osler, Hoskin & Harcourt et TransAlta Corporation. Être petit ne signifie pas nécessairement qu'on est irresponsable.

J'espère que le comité sénatorial qui étudiera ce projet de loi procédera à une sérieuse réflexion pour assurer un accès plus équitable à tous les actionnaires.

Des voix: Bravo!

(Sur la motion du sénateur DeWare, au nom du sénateur Tkachuk, le débat est ajourné.)

Le financement de l'enseignement postsecondaire

Interpellation-Suite du débat

L'ordre du jour appelle:

Reprise du débat sur l'interpellation de l'honorable sénateur Atkins, attirant l'attention du Sénat sur le financement de l'enseignement postsecondaire au Canada, particulièrement la partie du financement que supportent les étudiants, en vue d'élaborer des politiques qui viseront à amoindrir le fardeau des dettes des étudiants au niveau postsecondaire au Canada.-(L'honorable sénateur Callbeck).

L'honorable Catherine S. Callbeck: Honorables sénateurs, je suis heureuse d'intervenir aujourd'hui et de participer au débat sur cette motion. Je tiens à remercier le sénateur Atkins, qui l'a présentée. Nous n'avons pas débattu de cette question au Sénat depuis que le comité sénatorial spécial sur l'enseignement postsecondaire a présenté son rapport final en décembre 1997. Toutefois, je ne crois pas qu'il puisse exister un seul doute dans l'esprit des sénateurs quant à l'importance de cette question.

Les sondages nationaux placent très souvent l'éducation et la santé parmi les principaux sujets de préoccupation des Canadiens. Cela s'explique notamment par la dette élevée qu'accumulent les étudiants durant leurs études. Les dettes d'études augmentent surtout à cause de la part des frais de scolarité que doivent assumer les étudiants. Par exemple, en 1982, les droits de scolarité représentaient 8 p. 100 des recettes d'exploitation des universités, contre 17 p. 100 en 1998. Les données de Statistique Canada montrent que, malgré la hausse des frais de scolarité, les inscriptions se sont accrues de 20 p. 100 entre 1987 et 1997.

Honorables sénateurs, il convient de se demander pourquoi, si l'endettement est si élevé, les inscriptions sont à la hausse. Il est difficile de répondre à pareille question, qui porte en fait sur les raisons qui poussent les jeunes à faire des études supérieures. Selon diverses études, ces raisons sont complexes et font intervenir une variété de motivations et d'obstacles. Toutefois, une chose est claire: dans bien des secteurs d'activité modernes, le diplôme universitaire a remplacé le diplôme d'études secondaires comme niveau minimal d'entrée dans la population active. Par conséquent, le point de vue prédominant semble être que, même si le coût des études et l'endettement constituent sans conteste un problème, la plupart des étudiants n'y voient pas une raison suffisante pour abandonner leurs études après le secondaire. Autrement dit, compte tenu du choix entre l'endettement et l'abandon des études supérieures, la majorité des étudiants sont prêts à s'endetter pour pouvoir dénicher un meilleur emploi dans l'avenir. Les étudiants semblent considérer l'éducation postsecondaire pour ce qu'elle est, c'est-à-dire un investissement dans leur avenir.

Dans quelle mesure la perspective d'un lourd endettement influe-t-elle sur les jeunes provenant de milieux à faible revenu? Les droits de scolarité et l'endettement étudiant influent-ils sur l'accessibilité?

Dans son rapport au Sénat, le comité spécial du Sénat sur l'éducation postsecondaire a également posé cette question. Il a recommandé que le gouvernement fédéral et le Conseil des ministres de l'Éducation du Canada évaluent l'effet de la perspective de l'endettement élevé sur l'accessibilité. Le gouvernement fédéral et le conseil ont annoncé conjointement, en novembre 1999, leur intention de mener une telle étude. Malheureusement, les résultats de l'étude ne sont pas encore connus. Cependant, la Commission de l'enseignement supérieur des provinces maritimes a réalisé une étude semblable et en a publié les résultats en octobre 1997.

(1920)

L'étude a révélé un problème croissant d'endettement étudiant dans les Maritimes, mais, dans l'ensemble, ce haut niveau d'endettement ne décourageait pas les étudiants de poursuivre au-delà de l'école secondaire. L'étude a révélé en outre que le poids de l'endettement reposait de façon disproportionnée sur les moins fortunés.

Selon l'étude, 52 p. 100 des étudiants des Maritimes venant de familles à faible revenu ont dit qu'ils y penseraient à deux fois avant de faire des études supérieures, à cause de l'endettement. Seulement 29 p. 100 des étudiants des familles à revenu moyen ou supérieur partageaient ces inquiétudes. Ces chiffres sont préoccupants, honorables sénateurs, car toutes les données pertinentes montrent que les études sont l'un des meilleurs moyens d'échapper à la pauvreté ou d'améliorer ses revenus. Par conséquent, si certains considèrent qu'un lourd endettement est un obstacle aux études supérieures, il faut faire quelque chose pour atténuer cette réaction et encourager tous les jeunes à faire des études postsecondaires. Si nous ne faisons rien, nous créerons une société composée de riches et de démunis, les riches étant ceux qui ont les moyens de faire des études supérieures et les démunis ceux qui estiment ne pas en avoir les moyens.

À notre époque, un diplôme de premier cycle ou un diplôme collégial sont le minimum exigé pour travailler dans de nombreux domaines. Cela s'explique en partie par la réorientation de notre économie. Autrefois, elle reposait principalement sur l'industrie et sur l'extraction des ressources naturelles. Aujourd'hui, elle est davantage fondée sur l'information, et l'utilisation du savoir par des travailleurs très mobiles y est plus importante que la fabrication de produits par des machines. Résultat, les études sont devenues cruciales, non seulement pour l'individu, mais aussi pour toute la société.

L'Organisation de coopération et de développement économiques, l'OCDE, l'a souligné ainsi dans son rapport de 1996 intitulé: «Lifelong Learning for All»:

L'éducation joue un rôle critique dans [...] le rehaussement des aptitudes et des compétences de la population, améliorant ainsi la capacité des gens à bien vivre, à bien travailler et à bien apprendre. Une main-d'oeuvre instruite et bien formée est essentielle à la prospérité sociale et économique d'un pays.

Cela ne veut pas dire que le Canada ne se débrouille pas bien pour assurer l'éducation de ses citoyens. Au contraire, l'émergence du Canada en tant que société très instruite n'est pas nouvelle. Nos normes, qui sont déjà élevées par rapport à celles d'autres pays, se sont beaucoup améliorées au cours des années 90. Selon un rapport publié le lundi 21 février 2000 par Statistique Canada, il y a plus de jeunes que jamais qui terminent leurs études secondaires et, parmi eux, il y en a plus que jamais qui poursuivent des études supérieures.

En 1990, 20 p. 100 des Canadiens de 25 à 29 ans avaient moins qu'un diplôme d'études secondaires. En 1998, ce pourcentage était tombé à 13 p. 100. En outre, entre 1990 et 1998, le pourcentage des personnes de ce groupe d'âge ayant un diplôme universitaire est passé de 17 à 26 p. 100.

Le Canada supporte bien la comparaison avec d'autres pays. Selon des indicateurs récents de l'OCDE, 48 p. 100 des Canadiens de 25 à 65 ans avaient terminé une forme ou une autre d'études postsecondaires en 1998. C'est nettement au-dessus de la moyenne de 23 p. 100 pour l'OCDE et considérablement supérieur aux 34 p. 100 des États-Unis, le pays qui se classe au second rang.

Comme vous pouvez le constater, le Canada continue d'être à l'avant-garde pour l'éducation de ses citoyens. Toutefois, à cause de l'alourdissement de la dette étudiante et de la hausse du taux de carence de paiement, nous laissons tomber des étudiants, à savoir ceux qui préfèrent ne pas poursuivre leurs études parce qu'ils estiment ne pas en avoir les moyens et ceux qui ont du mal à rembourser leur dette après leurs études. La solution consisterait donc à s'efforcer d'offrir davantage d'options et de latitude aux étudiants dans le paiement de leur dette, en prévoyant des dispositions spéciales pour la situation difficile de certains, de manière à assurer l'accès à l'éducation.

Le gouvernement fédéral et les provinces ont commencé à introduire des mesures en ce sens. En 1998, la Stratégie canadienne pour l'égalité des chances a été présentée dans le budget fédéral. Une série de mesures visaient à aider à gérer l'endettement des étudiants, notamment un allégement fiscal correspondant aux intérêts sur tous les emprunts étudiants; une prolongation de la période d'exemption d'intérêts après l'obtention du diplôme; une prolongation des périodes de remboursement pour ceux qui en ont besoin; une réduction du principal du prêt pour ceux qui sont encore en difficulté financière; et, enfin, les bourses du millénaire. Grâce à ces mesures, des centaines de milliers d'étudiants ont pu faire face plus facilement au remboursement de leurs prêts. De plus, ces mesures vont dans le sens préconisé par certaines recommandations du comité spécial du Sénat.

Les gouvernements provinciaux ont aussi adopté des programmes visant à aider les étudiants endettés. Il s'agit de programmes de remise de dette. Une remise de dette est une subvention versée à des étudiants qui terminent leurs études avec succès. Ces montants varient d'une province à l'autre. Par exemple, à l'Île-du-Prince-Édouard, ma province, toute partie d'emprunt dépassant 6 000 $, jusqu'à concurrence de 2 000 $ par année, ouvre droit à une remise.

Ces programmes sont des initiatives positives et il faudrait les renforcer et les compléter. Malheureusement, il est trop tôt pour évaluer leurs répercussions sur l'accessibilité aux études. Cependant, étant donné que la proportion de défaut de paiement des prêts est de un sur trois, il semble que certains étudiants n'obtiennent pas toute l'aide dont ils auraient besoin.

J'aimerais voir un système où le remboursement des prêts est lié au salaire de départ de l'étudiant et rajusté en fonction des augmentations de salaires, à mesure que l'étudiant gagne en expérience et gravit les échelons chez son employeur. Je crois aussi que les prêts devraient être exemptés d'intérêt pendant une certaine période suivant l'obtention du diplôme.

Un tel système est présentement en vigueur en Australie et il semble bien fonctionner. Afin de contrer la fraude et d'économiser sur les frais d'administration, des remboursements établis en fonction du salaire annuel sont recouvrés par le régime fiscal.

J'aimerais qu'il existe un système permettant aux jeunes de toutes les provinces de poursuivre leurs études au-delà de l'école secondaire s'ils le désirent. Pour aider ceux que les frais de scolarité élevés peuvent dissuader, je suggère d'accorder des prêts exemptés d'intérêt pendant une période fixe, d'accorder des remises de prêts plus généreuses et des possibilités de remboursement souples, y compris la possibilité de lier au salaire le montant des paiements. Ces mesures témoigneraient de notre confiance dans nos étudiants et de notre confiance dans leur avenir dans une économie fondée sur le savoir.

Honorables sénateurs, le défi consiste à renforcer le système en place, à élaborer un cadre coordonné et équitable pour le financement de l'enseignement postsecondaire dans tout le Canada de sorte que tous les étudiants qui le désirent puissent faire des études postsecondaires. Il s'agit d'un sujet important et j'invite tous les sénateurs à prendre part au débat.

L'honorable Norman K. Atkins: Honorables sénateurs, madame l'honorable sénateur Callbeck accepterait-elle de répondre à une question?

Le sénateur Callbeck: Bien entendu, honorables sénateurs.

(1930)

Le sénateur Atkins: Tout d'abord, je voudrais remercier l'honorable sénateur pour son excellent exposé. Nous avons tous nos propres solutions à l'endettement des étudiants. Ma question est simple: dois-je comprendre, à partir de ce que madame le sénateur a dit, que tous les diplômés qui sortent de l'école secondaire, quelles que soient leurs caractéristiques démographiques, devraient avoir le droit de poursuivre des études postsecondaires?

Le sénateur Callbeck: Je ne sais pas ce que l'honorable sénateur entend par là. Veut-il dire que ces étudiants devraient pouvoir poursuivre leurs études gratuitement?

Le sénateur Atkins: Je parle d'une forme ou une autre d'aide financière.

Le sénateur Callbeck: Oui, je crois qu'il devrait y avoir une forme d'aide financière. Cependant, il est évident que, pour certains étudiants, cela ne suffisait pas.

Je le répète, le gouvernement a lancé diverses initiatives dans son budget de 1998, mais il est trop tôt pour dire combien d'étudiants seront visés. Cependant, ces initiatives aideront probablement des milliers d'étudiants à rembourser leurs dettes.

Pour répondre à votre question, oui, je crois que certains étudiants sont laissés pour compte et que nous pourrions faire davantage.

Le sénateur Atkins: Les statistiques que j'ai en main montrent que près d'un million d'étudiants pourraient poursuivre des études postsecondaires sous une forme ou une autre et que 300 000 ont besoin d'un appui financier. Il semble y avoir un problème avec bon nombre de ces 300 000. Il n'est pas certain qu'ils puissent poursuivre leurs études. Non seulement cela les touche personnellement, mais nous entendons maintenant parler de cas vraiment incroyables où des étudiants à leur quatrième année universitaire ont une dette de 25 000 $ à 30 000 $. Les effets se font sentir sur leurs parents, surtout ceux qui vivent dans la région de l'Atlantique. C'est une dette très lourde à porter pour quiconque.

Est-il possible de prévoir un programme de subventions pour aider certains étudiants? Ce prêt ne serait remboursé que lorsque l'étudiant a réussi à la fin de ses études à décrocher un emploi permanent. De plus, il devrait y avoir un délai de grâce avant qu'un étudiant ne soit tenu de rembourser son prêt avec intérêts.

Le sénateur Callbeck: C'est ce que j'ai proposé. Le paiement devrait être proportionnel au salaire. Il devrait y avoir un délai fixe avant que les intérêts ne commencent à s'accumuler sur la dette.

Cela dit, le gouvernement a pris d'importantes mesures dans la même veine, pour aider les étudiants. Beaucoup de ces mesures étaient annoncées dans le budget de 1998. Le rapport du comité sénatorial spécial sur l'éducation postsecondaire a recommandé d'examiner toute cette question afin de voir si les étudiants qui viennent de familles à faibles revenus sont particulièrement désavantagés. C'est ce que font en ce moment les ministres provinciaux de l'éducation et le ministère du Développement des ressources humaines dans le cadre d'une étude annoncée en novembre 1999. Il sera intéressant d'en voir les résultats.

Le sénateur Atkins: Dans le dernier budget, la déduction d'impôt applicable aux bourses d'études à été portée de 500 $ à 3000 $. Selon le sénateur Callbeck, les bourses d'études ne devraient-elles pas toutes être exemptes d'impôt? Je crois que le régime actuel pénalise non seulement les étudiants mais également les établissements parce que ces derniers trouvent l'argent des bourses, le donnent aux étudiants et ces derniers doivent ensuite en remettre une partie au gouvernement. Ne croyez-vous pas que les bourses devraient être non imposables?

Le sénateur Callbeck: J'ai vu avec plaisir le gouvernement prendre cette initiative. Je ne suis pas sûre qu'il faille éliminer complètement l'impôt sur les bourses. Il doit y avoir un certain seuil. Il est actuellement de 3000 $. Peut-être devrait-il être plus élevé, mais attendons de voir ce que le montant actuel donnera.

(Sur la motion du sénateur Graham, le débat est ajourné.)

La liberté religieuse en Chine en rapport avec les pactes internationaux des Nations Unies

Interpellation-Suite du débat

L'ordre du jour appelle:

Reprise du débat sur l'interpellation de l'honorable sénateur Wilson attirant l'attention du Sénat sur la liberté religieuse en Chine en rapport avec les pactes internationaux des Nations Unies.-(L'honorable sénateur Andreychuk).

L'honorable A. Raynell Andreychuk: Je suis heureuse que l'interpellation dont le sénateur Wilson a donné avis le 17 novembre 1999 ait donné lieu à un débat aussi intéressant. J'aimerais ajouter mes propres observations.

Comme on devait s'y attendre, les sénateurs Austin, Di Nino et Poy ont élargi le débat au-delà de ce que prévoyait l'interpellation du sénateur Wilson, en abordant des sujets comme les droits humains, le commerce et les soi-disant «valeurs asiatiques».

Les honorables sénateurs se souviendront qu'en décembre 1998 le comité sénatorial permanent des affaires étrangères a déposé son rapport d'étude intitulé: «La crise en Asie: répercussions sur la région, le Canada et le monde». Au sujet de ce débat sur les droits humains, le commerce et les valeurs asiatiques, je me permets de rappeler certaines observations que j'ai faites, le jeudi 13 mai 1999, dans mon discours sur ce rapport sénatorial.

En ce qui concerne les droits de la personne et le commerce, le professeur Brian Job, de l'Institut des relations internationales de l'Université de la Colombie-Britannique, disait ceci:

Ce que je veux fondamentalement faire valoir ici, c'est que les universités et les secteurs public et privé du Canada ne peuvent pas définir leurs relations [...] simplement en termes économiques, à savoir des emplois et encore des emplois et du commerce et encore du commerce. Si nous définissons notre politique étrangère et nos relations bilatérales avec l'Asie seulement en termes économiques, nous ferons preuve de myopie, car nous finirons ainsi par compromettre nos intérêts économiques et nos succès dans la région.

Plus loin, il ajoutait:

Le Canada constatera de plus en plus que ses intérêts économiques ont une incidence sur les plans social, politique et de la sécurité.

À la page 105, le rapport du Sénat dit ceci, et je cite:

Le comité juge fausse la dichotomie entre le commerce et les droits de la personne, en ce sens que les deux s'interpénètrent. De plus en plus, gouvernements, décideurs et hommes d'affaires comprennent que l'application universelle de la primauté du droit, l'interdiction de la corruption, le respect des droits des travailleurs, de bonnes normes d'hygiène et de sécurité, et le respect de l'environnement sont non seulement moralement justifiables, mais que cela est bon pour les affaires. En respectant et en défendant les droits de la personne, les pays favorisent la stabilité politique et sociale dont dépendent la prospérité économique et le respect des engagements commerciaux. Les entreprises ont aussi un rôle important à jouer, tant pour promouvoir les droits de la personne que pour veiller à ce qu'elles-mêmes ne favorisent pas les abus.

Le comité dit également que, dans ses rapports commerciaux et autres avec les différents pays, le Canada ne devrait pas «laisser ses valeurs fondamentales au vestiaire».

En fait, le comité dit - et je suis d'accord - que les considérations économiques ne passent pas en premier et les droits de la personne en deuxième, mais bien que les deux vont de pair.

La recommandation 18 du rapport du Sénat dit ceci:

- Que la politique étrangère du Canada englobe, comme exigence minimale pour énoncer une position claire sur les droits de la personne, l'ensemble des principes suivants: Premièrement, tous les États se doivent de respecter la Déclaration universelle des droits de l'homme. Il incombe donc au Canada, dans ce contexte, d'encourager les pays de l'Asie-Pacifique à respecter les déclarations internationales des droits de la personne et, en particulier, les instruments dont ils sont signataires.

- Deuxièmement, le Canada a un rôle important à jouer pour ce qui est d'aider ses partenaires de l'Asie-Pacifique à accroître leurs efforts de réforme et à renforcer leur capacité à élaborer leurs propres stratégies des droits de la personne. Le Canada devrait, à cet égard, promouvoir le dialogue multilatéral, régional et bilatéral avec d'autres pays afin de les attirer davantage dans le système international des droits de la personne.

Je reviendrai sur ce point dans un moment.

(1940)

Le deuxième aspect dont je parlerai, c'est la mystique asiatique trompeuse qui nous porte à croire que les pays asiatiques et la Chine en particulier sont différents de tous les autres pays. Chaque pays, y compris les pays d'Afrique, d'Amérique du Sud et d'ailleurs, possède son histoire, sa culture et ses antécédents propres. Comment se fait-il que nous éprouvons peu de difficultés à soulever énergiquement les questions de droits de la personne dans des pays d'Afrique et d'Amérique du Sud, et même dans l'ancienne Union soviétique, et que nous sommes réticents à le faire en Asie-Pacifique et, plus important encore, en Chine? Il semble que cela tienne à la taille du pays. Toutefois, sur le plan humain, la vie d'un Chinois équivaut à celle d'un Africain ou d'un Canadien et revêt la même importance.

Il faut se rappeler que la Déclaration universelle des droits de l'homme est axée sur les gens, et non sur les pays. Le ministre Axworthy lui-même l'a récemment souligné dans sa quête d'un programme de la sécurité humaine. Il a fait valoir qu'il existe deux pierres d'assise au Nations Unies, l'une étant la déclaration, qui protège les particuliers, et l'autre, la charte, dont le fondement est la souveraineté nationale. Sa façon de voir les choses, et j'aurais penché en ce sens, en ce qui concerne les particuliers et la protection de leurs droits, est la bonne, peu importe le pays dans lequel ils se trouvent.

Le débat entourant les valeurs asiatiques a certes diminué depuis la crise financière en Asie. Auparavant, comme notre rapport l'indique, cela servait d'excuse pour ne pas apporter les changements nécessaires. Comme nous l'avons précisé dans notre rapport:

La crise financière survenue en Asie en 1997 a prouvé qu'il n'existe pas de mystique Asie-Pacifique ou, expliqué autrement, que les pays d'Asie n'ont pas réussi à trouver des moyens d'échapper aux forces et aux règles économiques habituelles.

Par conséquent, les pays d'Asie ont éprouvé des difficultés. Ils étaient fort disposés à amorcer un dialogue en vue d'apporter les changements qui seraient compatibles avec une saine gestion gouvernementale et le respect des droits de la personne, exercice auquel ils ne voulaient pas se prêter auparavant.

La Chine semble être le seul pays réticent. La Chine a fait des gains économiques et elle a accompli des progrès remarquables en ce qui concerne l'ouverture de ses marchés et autres institutions, mais elle possède toujours la plus vaste armée au monde et se sert de sa richesse pour acquérir des armes. Le vrai besoin consiste à encourager la désescalade.

En guise de corollaire, je trouve inquiétant que, chaque fois qu'on propose d'analyser la question des droits de la personne en Chine, certaines personnes sautent à la conclusion que des sanctions sont proposées et disent que des sanctions sont beaucoup plus destructrices que le dialogue. D'abord, j'ai tendance à convenir qu'un dialogue constructif est mieux qu'un isolement par des sanctions, mais il ne s'agit pas de l'un ou de l'autre. Le dialogue doit, en fait, être constructif et donner des résultats. Sinon, il n'est qu'une façade qui vise à faire fi des droits de la personne et à s'éloigner de la vraie question.

En outre, il faudrait utiliser une foule de mesures entre un dialogue constructif et des sanctions. Bon nombre sont des mécanismes qui existent au sein de la communauté internationale et, par conséquent, il ne sert à rien de balkaniser le débat.

Le sénateur Poy a présenté son analyse des valeurs asiatiques en nous rappelant notre propre bilan médiocre, par le passé, au chapitre des droits de la personne et en déclarant que l'argument sur la collectivité a du poids. Je ne peux que répéter ma conviction que la Déclaration universelle des droits de l'homme englobe des principes, des valeurs et des droits qui sont universels et non propres au monde occidental.

C'est pourquoi j'ai pris bien soin de ne pas accepter la position du gouvernement selon laquelle nous projetons nos valeurs à l'étranger. Personnellement, je souscris plutôt à la politique qui vise à favoriser les valeurs universelles auxquelles la Chine a adhéré lorsqu'elle s'est jointe aux Nations Unies, et elle a même signé les deux principaux pactes, bien qu'ils ne soient pas encore ratifiés.

Je ne suis pas experte en valeurs asiatiques et je ne prétends pas l'être. Cependant, je me réfère à des sources éminentes qui ont présenté la position de rechange. M. Amitav Acharya, professeur agrégé au département des sciences politiques de l'Université York, et aussi codirecteur du Joint Centre for Asia-Pacific Studies de l'Université de Toronto et de l'Université York, a répondu à la question des valeurs asiatiques et des droits de la personne en disant ceci:

Je conçois les droits de la personne comme des droits dont chacun jouit du simple fait d'être humain et sans égard à la culture dont il est issu. Les gouvernements de ces pays admettent qu'il existe des droits de la personne fondamentaux. Reste à voir comment ces droits sont respectés en pratique. Il s'agit d'une question très complexe. On a beaucoup étudié la question de la place qu'accordent différentes cultures au respect des droits de la personne et toutes ces études ont abouti à la même conclusion que vous, à savoir que chaque culture reconnaît et respecte la dignité des êtres humains. Il faut simplement s'assurer que les autorités politiques en font autant.

En ce qui concerne les valeurs asiatiques, Amartya Sen, lauréat en 1998 du prix Nobel de science économique, auteur de Development as Freedom: Human Capability and Global Need et économiste auprès de la Banque mondiale, a déclaré ce qui suit, dans le Journal of Democracy en juillet 1999. Je dois souligner aussi que Sen a contribué à l'élaboration de l'indice du développement humain pour le PNUD, indice selon lequel le Canada se classe au premier rang. Je crois qu'il comprend bien la dimension humaine de cette question. Il dit:

Confucius est l'auteur cité habituellement lorsqu'il s'agit d'interpréter les valeurs asiatiques [...]. Confucius lui-même ne recommandait pas la loyauté aveugle envers l'État. Lorsque Zilu lui demande comment servir un prince, Confucius répond...

Ici, M. Sen ajoute entre parenthèses que c'est une déclaration à laquelle les censeurs des régimes autoritaires devraient réfléchir.

«Dites-lui la vérité, même si elle l'offense.» Confucius n'est pas opposé à la prudence pratique et au tact, mais n'hésite pas à recommander de s'opposer à un mauvais gouvernement (avec tact au besoin): «Lorsque l'ordre règne dans l'État, parlez avec cran et agissez avec courage. Lorsque l'État est décadent, agissez avec cran et parlez doucement.» Confucius nous indique clairement que les deux piliers de l'imaginaire édifice des valeurs asiatiques, soit la loyauté envers la famille et l'obéissance à l'État, peuvent être hautement conflictuels. Bien des défenseurs de la puissance des «valeurs asiatiques» considèrent le rôle de l'État comme une extension de celui de la famille, mais, comme l'indique Confucius, il peut survenir des tensions entre les deux. Le gouverneur de She avait dit à Confucius que parmi les gens de son peuple se trouvait un homme d'une intégrité absolue car il avait dénoncé son père lorsque celui-ci avait volé un mouton. À cela, Confucius répondit «les hommes intègres de mon peuple font les choses différemment; un père dissimule les transgressions de son fils et vice-versa; il existe une intégrité dans le devoir à accomplir.»

Il ajoute:

L'interprétation monolithique des valeurs asiatiques comme étant hostiles à la démocratie et aux droits politiques ne résiste pas à un examen critique en profondeur...

(1950)

Je citerai enfin Mme Maureen O'Neill, présidente à l'époque du Centre international des droits de la personne et du développement démocratique, qui a déclaré, devant un comité:

Il est de plus en plus clair qu'on ne doit pas séparer les questions concernant le commerce et les investissements de celles qui touchent les droits de la personne et la démocratie.

Mme O'Neill a aussi ajouté que les idées transmises par les membres de l'APEC n'étaient pas celles de citoyens, mais plutôt celles de leaders, et que les valeurs fondamentales que nous appelons les droits de la personne trouvaient un écho dans ces pays.

Par conséquent, je me demande si ce sont vraiment les valeurs asiatiques qui empêchent la discussion sur les droits de la personne ou plutôt la stratégie de leaders qui veulent maintenir un contrôle absolu aux fins de sauvegarder leur propre position, et non dans l'intérêt et pour le bien-être des citoyens?

Je parlerai maintenant de la question de la liberté de religion en Chine. Je félicite madame le sénateur Wilson d'avoir pris l'initiative de collaborer avec ses homologues en Chine et pour les évaluations que ses homologues et elle-même ont faites. Madame le sénateur signale avec raison qu'elle n'a vu aucun signe de politique générale visant à persécuter les groupes religieux, mais elle conviendra que la situation d'ensemble n'en est pas une que son comité pourrait légitimement analyser. Je relis les observations du sénateur Wilson et je me propose de lui demander un jour ce qu'elle entend par les «principales Églises chrétiennes du Canada» et «l'orientation hautement privatisée des groupes religieux venant de Los Angeles ou de Taiwan».

Pendant que j'y suis, je dois dire que j'ai du mal à accepter la notion que le Falun Gong est non seulement un culte, mais aussi une organisation déstabilisante, néfaste et influencée par l'étranger. Il aurait été plus utile que les homologues du sénateur Wilson nous fournissent des preuves et nous disent comment ils en étaient arrivés à cette conclusion.

De façon lapidaire, la liberté de religion est garantie par la Déclaration universelle des droits de l'homme au même titre que la liberté d'association. Toute tentative gouvernementale de sanctionner les Églises est à mon sens inopportune, et la source des problèmes de la Chine réside dans le fait qu'elle ne reconnaît que cinq religions. Je crois avoir au moins compris que la question n'en est pas une d'opposition entre l'individu et la collectivité, mais bien de savoir si le principe de la collectivité est manipulé par le gouvernement de façon à maîtriser les citoyens. Il est discutable de compter exclusivement ou même beaucoup sur les Églises qui fonctionnent ouvertement et qui sont sanctionnées par le gouvernement. La Chine se présente toujours comme un pays communiste, mais avec une certaine ouverture au plan économique. Nous connaissons maintenant bien, mais seulement depuis l'effondrement de l'Union soviétique, les véritables difficultés que les Églises et les croyants ont éprouvées dans le système soviétique et je crois juste d'établir ici un parallèle. Dans le système communiste, et je peux prendre l'exemple de l'Ukraine, il y avait l'Église orthodoxe sanctionnée par l'État, l'Église orthodoxe parallèle et l'Église orthodoxe en exil. Même cette Église qui fonctionnait et qui était acceptée comme étant une Église patriotique se laisse finalement aller à révéler aujourd'hui les compromis qu'elle a dû faire pour survivre. Je peux seulement croire que la même chose arrivera un jour en Chine. Le gouvernement communiste n'a pas essayé de supprimer les croyances religieuses, mais il a créé pour les protestants et les catholiques trois autres Églises sanctionnées par l'État et libres de tout lien avec des gouvernements étrangers.

Son Honneur le Président pro tempore: Je suis au regret d'informer l'honorable sénateur que son temps de parole est écoulé. Souhaitez-vous demander la permission de continuer?

Le sénateur Andreychuk: J'en fais la demande.

Son Honneur le Président pro tempore: Est-on d'accord, honorables sénateurs?

Des voix: D'accord.

Le sénateur Andreychuk: Honorables sénateurs, je vais m'efforcer d'être aussi brève que possible.

Autrement dit, le gouvernement communiste a reconnu cinq Églises sous réserve. Même si un grand nombre de protestants ont plutôt mal accueilli cette annonce, je tiens à signaler que celle-ci a engagé les catholiques sur une voie qui mène à la collision parce que les très importants liens avec le pape sont en cause. En fait, le cardinal Ignatius Gong, qui est décédé dernièrement, a passé 30 années dans les prisons et les camps de travail chinois pour avoir refusé d'appuyer une Église catholique patriotique. Sa cause, disait-on, tenait à son souci de faire en sorte que l'autorité soit fondée sur des croyances religieuses adéquates dans un régime totalitaire déterminé à façonner les croyances des ses citoyens et à obtenir d'eux des déclarations publiques de loyauté. Il ne faut pas oublier la lutte en faveur de tous les prisonniers d'opinion emprisonnés en raison de leur foi, même s'il est vrai que la Chine a changé de cap plusieurs fois depuis. À mon avis, même les Églises dites reconnues ne peuvent être considérées comme l'aune à laquelle on mesure la liberté religieuse, surtout qu'il serait injuste d'attirer ce genre d'attention sur elle au prix de leur sécurité. Par conséquent, il y a un équilibre délicat à préserver entre encourager ces groupes et en faire des porte-parole sur la question de la liberté religieuse en Chine. Nous devons donc tous examiner d'autres critères.

En dépit de ce que la Chine a dit au sujet de la secte Falun Gong, par exemple, à savoir qu'il s'agit d'une organisation déstabilisante, nuisible et sous influence étrangère, aucune preuve n'a été produite en ce sens. Le concept des praticiens de Falun Gong doit être examiné. L'opinion internationale soutient qu'ils n'ont violé aucune véritable loi et que, dans le pire des cas, certains praticiens ont peut-être eu recours à la désobéissance civile pour lutter contre les allégations du gouvernement chinois selon lesquelles cette organisation est déstabilisante. En tout cas, il existe des preuves que non seulement la secte Falun Gong, mais aussi les moines tibétains et les bouddhistes ont été victimes de répression.

J'invite le sénateur Wilson et les autres membres canadiens à contacter les membres de la secte Falun Gong pour entendre leur version des faits et à demander l'avis des nombreux organismes non gouvernementaux légitimes et reconnus qui connaissent bien la Chine et l'État chinois.

Nous devons examiner la question sous l'angle plus large de la liberté d'expression, d'association et de religion et nous en remettre à des groupes indépendants qui ont accès à la Chine et qui jouissent d'une bonne réputation. J'accorde moins d'importance au rapport des Nations Unies sur les droits de la personne, pour des raisons évidentes. Par ailleurs, j'accorde une grande crédibilité à des organisations de défense des droits de la personne comme Amnistie Internationale, Human Rights Watch et d'autres qui ont rapporté que la torture et les mauvais traitements demeurent des pratiques courantes. Comme le disait le secrétaire général d'Amnistie Internationale:

L'année dernière a été sans aucun doute l'année où il y a eu le plus de répression en Chine depuis l'horrible massacre de la place Tiananmen, il y a dix ans. Il faut faire quelque chose.

L'ancien ministre libéral Warren Allmand, qui dirige actuellement le Centre international des droits de la personne et du développement démocratique, déclarait ce qui suit dans le Ottawa Citizen:

En poursuivant ses propres efforts bilatéraux, le Canada mine les efforts internationaux pour obtenir des changements en Chine.

Il soutient que l'approche étroite du premier ministre Jean Chrétien pour mousser les échanges commerciaux ont ramolli l'attitude du Canada au sujet des violations des droits de la personne en Chine. Il ajoute:

Nous croyons que beaucoup de ces décisions sont probablement prises au bureau du premier ministre et non pas au ministère des Affaires étrangères.

Son Honneur le Président pro tempore: Honorables sénateurs, désirez-vous que je ne tienne pas compte de l'heure pendant une autre heure?

L'honorable Dan Hays (leader adjoint du gouvernement): Honorables sénateurs, comme nous avons dépassé l'heure normale d'ajournement de deux heures et qu'il est 20 heures, je présume que deux interprétations sont possibles. Aux termes du Règlement, la séance doit être suspendue à 18 heures et reprendre à 20 heures. Ou bien nous avons donné la permission de siéger deux heures de plus. Je sens une certaine impatience dans l'assemblée, et la deuxième interprétation est peut-être préférable. Permettrons-nous au sénateur Andreychuk de terminer son intervention?

(2000)

L'honorable Noël A. Kinsella (chef adjoint de l'opposition): Honorables sénateurs, je propose que nous ne tenions pas compte de l'heure et que nous passions au travers de l'ordre du jour, car il risque d'y avoir plus d'impatience encore s'il est proposé que nous siégions vendredi matin. Si nous épuisons l'ordre du jour aujourd'hui, cela pourrait bien faciliter les choses pendant le reste de la semaine.

L'honorable Eymard G. Corbin: Honorables sénateurs, il faut être raisonnable lorsqu'on prolonge les heures. On nous avait dit au départ que la séance durerait jusqu'à 19 heures. Or, il est maintenant 20 heures et 23 secondes. Nous essayons d'organiser nos habitudes de vie pour pouvoir rester en santé malgré ces heures de travail anormales. On peut se contenter de sandwiches à midi, pendant les réunions de comités ou de caucus, mais c'est beaucoup demander de se contenter de sandwiches le soir aussi. À mon âge, je ne peux pas subir ce régime trop souvent. Les journalistes pourront plaisanter, mais je m'en fiche. Ils ne sont jamais ici, de toute façon.

Tout ce que je veux, c'est que nous puissions gérer notre temps de façon à mener une vie convenable, comme tout le monde. Ce n'est pas une façon de diriger les travaux. J'attache beaucoup d'importance à l'étude des lois, mais il y a sûrement d'autres choses qui peuvent attendre.

Je ne veux pas être injuste envers madame le sénateur Andreychuk. Elle est très attachée aux droits de la personne, mais ce n'est pas la première fois qu'elle nous parle de ce sujet et je suis sûr qu'elle en reparlera encore souvent. Toutefois, est-il justifié de continuer d'en parler à une heure pareille de la journée? Pourquoi n'avons-nous pas ajourné à 18 heures pour revenir à 20 heures? Et après tout, pourquoi ne pas siéger vendredi? Je ne suis pas contre une semaine de cinq ou six jours. Toutefois, permettez qu'on ait un mode de vie qui ait pour effet de promouvoir notre santé plutôt que de la détruire.

L'honorable Lois M. Wilson: Honorables sénateurs, j'ai au Feuilleton des avis une demande de renseignements dont je voulais parler mardi dernier. Je n'ai pas pu le faire car nous manquons de temps tous les jours et, apparemment, nous en manquons encore aujourd'hui. La prochaine possibilité que j'aurai de parler de cette question, ce sera lorsque nous reviendrons de congé en mai, ce qui me va parfaitement. Le Soudan ne va pas disparaître entre-temps. Toutefois, j'ai besoin de votre avis à ce sujet car je devais aborder cette question ce soir.

Le sénateur Hays: J'ai fait certaines remarques à propos de l'impatience de la Chambre, le sénateur Kinsella en a fait aussi. Je ne sais pas ce qu'en pense le sénateur Corbin. Nous siégeons avec la permission des sénateurs. Si nous n'avons pas la permission, notre Chambre s'ajourne automatiquement.

Le sénateur Corbin: Le sénateur Hays sait qu'il peut toujours compter sur moi. Je suis un des sénateurs toujours présents.

Le sénateur Hays: C'est vrai. Je l'apprécie vivement.

Je demande donc la permission de terminer nos travaux.

Son Honneur le Président pro tempore: La permission est-elle accordée, honorables sénateurs?

Des voix: D'accord.

Le sénateur Andreychuk: Je remercie les honorables sénateurs, et surtout le sénateur Corbin, pour leurs observations. J'ai déjà parlé des droits de la personne et je continuerai d'en parler, car c'est un sujet qui me tient à coeur. Je demande une fois de plus aux sénateurs de m'écouter, car je crois qu'il y aurait avantage à aller de l'avant maintenant.

J'appuie fortement M. Irwin Cotler, un député libéral, et une coalition de onze groupes de droits de la personne au Canada, qui ont demandé au Canada d'exprimer son inquiétude à l'égard du comportement de la Chine devant la Commission des droits de l'homme. Les simples discussions constructives n'ont pas abouti, le ministre Axworthy a fait preuve d'ambivalence sur ces questions et il ne conviendrait sûrement pas, compte tenu de son programme en matière de sécurité des personnes, d'adopter une telle position régressive. Par conséquent, il incombe clairement au premier ministre du Canada de prendre l'initiative de se rallier aux dirigeants d'autres pays d'optique commune pour appuyer une résolution exprimant notre inquiétude.

Après tout, la résolution qui circule présentement, et qui sera probablement soumise cette semaine à la Commission des droits de la personne, ne vise pas à condamner mais plutôt à exprimer préoccupation et encouragement. Si la Chine tenait vraiment à travailler dans un esprit de coopération et à respecter ses obligations, et si la Chine était vraiment intéressée à engager un dialogue sur les droits de la personne, elle ne serait pas en train de faire du lobbying pour poursuivre uniquement un dialogue aimable mais inefficace sur les droits de la personne.

Si le Canada n'est pas prêt à accepter la résolution des Nations Unies, il pourrait en proposer une de son cru. Il ne donne rien et il est insuffisant de continuer simplement à dire que nous sommes engagés de manière constructive. Par conséquent, il n'y a pas que la Chine qui a quelque chose dont elle doit rendre compte, mais aussi le Canada.

Dans notre rapport sur l'Asie-Pacifique, nous avons clairement déclaré que le Canada avait pour responsabilité d'encourager ses partenaires à adhérer aux instruments internationaux relatifs aux droits de la personne, comme nous sommes obligés de le faire. Continuer à gagner du temps pour la Chine au moyen d'un engagement constructif et à parler de solutions à long terme grâce à d'autres moyens n'a pas porté fruit et met en péril la sécurité de nombreux citoyens au Canada.

Un habitant d'un pays dirigé par un gouvernement autoritaire m'a dit un jour: il est facile pour vous de faire montre de compassion envers les chefs de gouvernement et de leur donner plus de temps tandis que vous essayez de les persuader, mais penseriez-vous de la même façon si c'était vous, votre enfant, votre frère ou votre ami qui perdait la vie ou qui était torturé ou subissait de mauvais traitements? Auriez-vous la même patience?

Par conséquent, j'exhorte le gouvernement canadien à proposer sa propre résolution à la Commission des droits de la personne cette semaine et à se joindre aux autres qui sont préoccupés par le dossier des droits de la personne, particulièrement en ce qui a trait à la liberté de religion et d'association. Autrement, un engagement significatif et constructif devrait être pris au niveau du premier ministre. Le premier ministre ne devrait pas diriger une autre Équipe Canada en Chine cette année avant d'avoir d'abord informé le gouvernement de la Chine que les droits de la personne seraient un point important à l'ordre du jour.

Je m'excuse si ma déclaration a été longue. Je voulais traiter des points importants. J'exhorte le gouvernement et les sénateurs d'en face qui ont une certaine influence à se joindre à M. Cotler afin de voir si nous pouvons faire une différence dans la vie des Chinois.

(Sur la motion du sénateur Kinsella, le débat est ajourné.)

Le soudan

Interpellation-Ajournement du débat

L'honorable Lois M. Wilson, ayant donné avis le 21 mars 2000:

Qu'elle attirerait l'attention du Sénat sur la situation au Soudan.

L'honorable Lois M. Wilson: Honorables sénateurs, il y a un an, le 23 mars 1999, j'ai déposé une interpellation concernant la situation au Soudan, et j'ai fait une mise à jour le 7 décembre 1999. Ma première interpellation fournissait beaucoup de détails sur le conflit en cours, et j'invite tous ceux qui interviendront sur cette question à s'y reporter.

Une année s'est écoulée et, aux actualités, il est encore question du Soudan, où des centaines de morts se sont ajoutées - les pertes de vie y sont plus nombreuses qu'au Kosovo, en Bosnie et au Rwanda réunis - et la terrible guerre se poursuit sans relâche. Le Canada et d'autres pays occidentaux versent chaque année des milliers de dollars en aide humanitaire pour ce pays, auquel les médias accordent enfin une attention, bien qu'ils ne s'arrêtent qu'à deux aspects de cette guerre civile prolongée, soit l'exploitation pétrolière par la société Talisman et les allégations concernant l'esclavage. Ces deux aspects pourraient chacun faire l'objet d'une enquête.

L'attention de la communauté internationale n'a aucune commune mesure avec l'énormité de la souffrance humaine qui est infligée là-bas. L'attention est centrée presque exclusivement sur l'exploitation du pétrole plutôt que sur les stratégies qui devraient rétablir la paix dans ce pays ravagé par la guerre. Certains sont d'avis que le fait de mettre un terme aux activités pétrolières permettrait de faire un pas de géant vers la paix, bien que cela nécessiterait des sanctions internationales puisque la Malaisie et la Chine possèdent de fortes participations dans l'oléoduc, mais nombreux sont ceux qui pensent que d'autres aspects de la situation au Soudan n'ont pas été suffisamment explorés. Ce sont sur ces aspects que je voudrais m'arrêter.

(2010)

Le Canada appuie le processus officiel des négociations de paix entre le gouvernement du Soudan et l'Armée populaire de libération du Soudan, ou APLS, actuellement dirigé par l'envoyé spécial Daniel Mboya et son secrétariat agissant au nom de l'initiative régionale africaine connue sous le nom d'Autorité intergouvernementale pour le développement, ou IGAD. L'IGAD a été formée au début des années 90 par les pays africains qui voulaient remonter aux sources du conflit. Tout d'abord basée sur les prémisses du sous-développement, elle a par la suite entrepris de concentrer ses efforts sur l'établissement d'un processus de paix pour le Soudan. À l'heure actuelle, les pays occidentaux, y compris le Canada, financent le secrétariat de l'IGAD par l'intermédiaire de l'ACDI et appuient diplomatiquement son travail par l'intermédiaire du Forum international des partenaires auprès duquel je représente le Canada. La déclaration de principes de 1994, qui est le seul document à avoir obtenu l'accord des deux adversaires, est à la base de la résolution du conflit au Soudan. Les négociations de paix actuelles sont fondés sur ces principes.

Deux sessions de négociation ont eu lieu, et une troisième est prévue pour avril. Ma récente visite dans la Corne de l'Afrique m'a laissée relativement optimiste au sujet de processus de l'IGAD. Au moins, le cadre pour un éventuel accord est en place, et les envoyés des pays voisins sont actifs depuis le début de l'année. Le pays est en conflit depuis 1956, ce qui fait que personne ne pouvait s'attendre à ce qu'on en arrive rapidement à un accord de paix. L'IGAD jouit d'un appui important en Afrique et devrait être appuyée sans réserve jusqu'à ce qu'un accord de paix intervienne ou jusqu'à ce que tout le processus s'effondre, rendant nécessaire la mise en place d'autres mécanismes.

Honorables sénateurs, c'est vraiment minimiser la situation que de dire que les choses ne sont pas allées rondement dans les négociations jusqu'à maintenant. Deux grandes questions semblent insolubles, soit la séparation de la religion et de l'État, que le gouvernement du Soudan n'a pas encore acceptée compte tenu de sa forte orientation islamique, et le droit du sud à l'autodétermination en cas d'échec des efforts en vue de préserver l'unité du pays. On n'arrive pas à s'entendre au sujet des frontières géographiques entre le nord et le sud, particulièrement en ce qui a trait au statut des «territoires marginalisés», soit Abyei, le Kordafan du sud et la région du sud du Nil bleu. De plus, le gouvernement a commencé à insister pour que les négociations de l'IGAD se limitent strictement au sud et pour que les questions touchant les territoires contestés soient exclues de ces négociations.

Après la dernière série de négociations, l'APLS a annoncé, sans doute par frustration, qu'elle passera directement à un arrangement provisoire avant l'autodétermination, probablement la séparation entre le Sud et le Nord. Dans ce cas, toutes les questions de paix totale resteront sans réponse. Il est à remarquer, toutefois, que l'APLS a convenu de participer à une troisième série de négociations.

On a toujours dit que la situation au Soudan est extrêmement complexe et nous commençons à comprendre pourquoi. La Libye et l'Égypte ont décidé que l'IGAD a mis trop longtemps à faire quelque chose et a proposé une initiative de paix parallèle qui ne reconnaît malheureusement pas la déclaration de principes, notamment la disposition sur l'autodétermination du Sud, en cas d'échec des efforts en faveur de l'unité.

L'Égypte propose un processus de réconciliation nationale avec ou sans l'IGAD. Même si elle risque de mener à la reconnaissance d'une solidarité arabe du Nord qui exclura et aliénera le Sud, l'initiative égyptienne semble avoir la faveur générale. Le Kenya est très possessif quant au processus de l'IGAD et ne tolère aucune ingérence des autres pays africains; l'Éthiopie non plus d'ailleurs.

Un certain nombre de pays, dont le Canada, pensent qu'à un moment donné toutes les parties touchées doivent souscrire à un accord de paix, y compris à un rôle pour l'Égypte et l'AND, la coalition de l'opposition. Le Nigeria et l'Afrique du Sud ont également manifesté de l'intérêt. On ne sait pas encore clairement comment cela sera accompli, mais toutes les initiatives de paix doivent être intégrées au processus de l'IGAD. Le rôle de l'OUA et de son unité de résolution des conflits n'est pas clair non plus.

On reconnaît largement qu'il est impossible de mettre fin à la guerre brutale au Soudan au moyen d'une série d'initiatives séparées et fragmentaires, mais la position adoptée par le gouvernement du Soudan par rapport à l'IGAD en faveur d'une tribune de paix définie en fonction de critères géographiques force la communauté internationale à se creuser les méninges.

Dans une tentative de redéfinition du contexte, de la force et du soutien d'un processus de paix global, le Canada tentera de braquer les projecteurs sur la situation du Soudan et le processus de paix sur les tribunes internationales, comme le Conseil de sécurité et la Commission des droits de l'homme des Nations Unies en avril. L'objectif du Conseil de sécurité est double: en premier lieu, régler le problème de l'accès au sud du Soudan pour les groupes humanitaires, y compris les Nations Unies, où il est très difficile d'entrer depuis un an ou deux; ensuite, obtenir le soutien des efforts de médiation de l'IGAD. Ces initiatives pourraient être inacceptables sur le plan international du fait de l'intérêt national de pays comme le Soudan. Toutefois, le Canada persistera dans ses efforts.

Est-ce que les deux côtés veulent vraiment la paix? Il est peu probable que le gouvernement du Soudan appuie un règlement dans le cadre duquel le pays serait laïcisé ou le pouvoir serait partagé entre les principales parties au conflit. Croit-il qu'il peut maintenir le statu quo indéfiniment par des actions militaires de faible intensité et par le bombardement délibéré d'hôpitaux et d'écoles? Peut-être. Ce gouvernement qualifie le conflit de «problème du Sud».

Le Sud, pour sa part, parle d'une «guerre de libération» contre un gouvernement qui s'est emparé du pouvoir à la faveur d'un coup d'État. Il insiste sur la séparation de l'État et de la religion et sur le droit à l'autodétermination, même si aucune structure gouvernementale n'existe au cas où cela se produirait. Les ressources comme le pétrole et l'eau continueront d'alimenter le conflit. L'opposition entre arabisme et africanisme suscitera des différends difficiles à résoudre. Il y a un risque de voir le démembrement du plus grand pays d'Afrique et la déstabilisation de toute la région.

Quelles mesures le Canada a-t-il prises ou pourrait-il prendre étant donné que le Canada n'est pas un médiateur, mais appuie les autorités régionales africaines qui, pour le moment, jouent ce rôle? Par l'intermédiaire de l'ACDI, le Canada appuie déjà le groupe interafricain et le groupe de réflexion sur les ressources de l'IGAD, de même que l'IGAD elle-même. Il appuie les efforts de paix et de réconciliation par l'intermédiaire du Project Ploughshares de Waterloo et de Alternatives, au Québec, qui mettent en présence les tribus en guerre dans le cadre du processus de réconciliation.

Il continue de soutenir le nouveau Conseil des Églises du Soudan dans sa facilitation d'une réconciliation entre les tribus belliqueuses des Nuers et des Dinkas. Le Canada appuie l'Initiative de paix des femmes du Soudan, lancée par l'ambassade de Hollande, qui réunit des Africains et des Arabes du Sud et du Nord, des chrétiens et des musulmans, lequel mouvement parraine une rencontre internationale qui aura lieu en avril, aux Pays-Bas. Bien sûr, l'ambassade de Hollande a déclaré qu'elle n'aurait jamais pu élaborer un tel programme sans être pleinement présente sur place, au Soudan.

Cette initiative est le signe le plus encourageant que j'aie vu au Soudan. Les femmes en ont assez de voir leurs maris tués, leurs fils faire la guerre et leur vie remplie de désespoir et de misère. Leur énergie, si elle s'exprime sous la forme d'un programme, pourrait bien contribuer à faire pencher la balance du pouvoir.

Le Canada a également prêté les services, par l'entremise de l'ACDI, d'une personne spécialisée dans la résolution de conflits et d'un analyste politique qui travailleront à plein temps au Soudan. Ces efforts contribuent au renforcement des gens du Sud, afin qu'ils puissent constituer une masse critique qui corrigerait le déséquilibre du pouvoir entre le Nord et le Sud.

La nécessité d'une petite présence canadienne dans le Sud a certains avantages. Cela ne veut pas dire que le Canada penche en faveur de Khartoum. Cela permettrait plutôt au Canada de surveiller et d'évaluer plus adéquatement la situation, y compris les violations des droits de la personne tant par le gouvernement du Soudan que par l'APLS, et d'appuyer les activités des ONG actives dans les dossiers des droits de la personne et des enlèvements. Il serait capable d'appuyer les ONG qui étaient auparavant actives dans le Sud, mais qui se sont retirées temporairement pour protester contre les exigences imposées par l'APLS, qui veut que toute aide humanitaire relève d'elle. Il pourrait peut-être aussi être en mesure de fournir des renseignements plus justes sur la situation politique.

Le Canada pourrait appuyer un service des droits de la personne axé sur les régions pétrolières, insistant sur la participation d'experts indépendants en droits de la personne qu'on irait peut-être chercher au sein de la communauté internationale par l'intermédiaire des Nations Unies. Il pourrait penser à la possibilité d'une indemnisation pour les personnes déplacées à l'intérieur du pays. Il pourrait appuyer les efforts visant à inviter des chrétiens, des musulmans et des animistes à proposer des solutions aux deux parties belligérantes sur le rôle de la religion, pourvu que ces efforts ne soient pas une façon pour l'une ou l'autre des parties au conflit de se mettre en valeur. Le Canada pourrait apporter à cette situation son expérience en matière de multiculturalisme et de collectivités multiconfessionnelles. Notre expérience en matière de fédéralisme, aussi imparfait soit-il, peut aussi être utile.

Les souffrances qui durent depuis tant de temps continuent d'affliger la population et, selon les informations qui continuent de filtrer du gouvernement, ce dernier persiste à bombarder délibérément des civils dans les hôpitaux et les écoles et à utiliser des routes construites pour l'extraction du pétrole pour assurer le déplacement de troupes. Le problème semble insoluble, mais il ne faut pas s'attendre à ce qu'un conflit qui dure depuis de si nombreuses années prenne fin rapidement ou facilement. Tant que le Canada sentira qu'il peut jouer un rôle utile, il poursuivra pleinement ses efforts.

Je vous remercie de votre patience.

Des voix: Bravo!

(Sur la motion du sénateur Andreychuk, la motion est ajournée.)

Ajournement

Permission ayant été accordée de revenir aux avis de motion du gouvernement:

L'honorable Dan Hays (leader adjoint du gouvernement), avec la permission du Sénat et nonobstant l'alinéa 58(1)h) du Règlement, propose:

Que, lorsque le Sénat s'ajournera aujourd'hui, ce soit au mercredi 5 avril 2000, à 13 h 30;

Que, à 15 h 30 demain, si le Sénat n'a pas terminé ses travaux, le Président interrompe les délibérations pour ajourner le Sénat;

Que, si un vote est différé à 17 h 30 demain, le Président interrompe les délibérations à 15 h 30 pour suspendre la séance jusqu'à 17 h 30 pour la mise aux voix du vote différé;

Que tous les points figurant à l'ordre du jour et au Feuilleton des avis qui n'ont pas été abordés demeurent dans leur ordre actuel.

(La motion est adoptée.)

(Le Sénat s'ajourne au mercredi 5 avril 2000, à 13 h 30.)


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